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h. taine. — géographie et mécanique cérébrales

avec une certaine vitesse, une ligne d’une certaine longueur et d’une certaine forme, reviennent chacune à leur place primitive, sauf quelques danseurs fatigués qui défaillent, sont incapables de recommencer et cèdent leur place à d’autres recrues toutes fraîches pour que la figure puisse être exécutée de nouveau.

Voilà, autant qu’on peut le conjecturer, l’acte physiologique dont la sensation est le correspondant mental. Grâce à cette correspondance, nous sommes en état de nous représenter plusieurs détails de la figure de danse. Aux éléments de la sensation correspondent les éléments de la danse ; par conséquent, si, dans une sensation de son musical qui dure un dixième de seconde, il y a cent sensations élémentaires semblables qui durent chacune un millième de seconde et sont chacune composées d’un minimum, d’un maximum avec une infinité de degrés intermédiaires, il faut admettre que, dans la cellule sensitive et pendant ce même dixième de seconde, les molécules ont exécuté cent évolutions semblables qui ont duré chacune un millième de seconde et ont été composées chacune d’un minimum, d’un maximum avec une infinité de degrés intermédiaires ; de plus, si la sensation de son présente cette qualité particulière qu’on appelle le timbre et qui est produite par l’accollement de quelques petites harmoniques aiguës, on peut admettre que, dans le tourbillon des danseurs, quelques petits groupes collatéraux ont exécuté leur évolution avec une vitesse qui était un multiple de celle des autres. — Règle générale : les portions successives ou simultanées de la sensation totale transcrivent en termes psychologiques les portions successives ou simultanées de la danse totale. Dès lors, nous comprenons la diversité de nos sensations totales, leur composition infiniment complexe, leur division en familles ou espèces qui nous semblent irréductibles l’une à l’autre. Une très-petite différence introduite dans la composition chimique ou dans la structure organique d’une cellule suffit pour changer du tout au tout le groupement et les pas de ses danseurs, par suite, la vitesse de leur évolution, la forme, la longueur et les combinaisons des lignes qu’ils décrivent : ce sera par exemple le menuet au lieu de la valse. Dessinez sur deux carrés de papier égaux les mouvements d’un même nombre de couples pendant le même temps, d’abord dans la valse, puis dans le menuet, les deux tracés sont très-réguliers et pourtant si compliqués que l’œil n’y discerne rien de commun ; ils lui apparaissent comme des arabesques irréductibles l’une à l’autre ; chacune d’elles semble un type à part. Telles sont pour la conscience nos cinq familles de sensations, dans chaque famille plusieurs groupes, dans chacun de ces groupes plusieurs espèces, et, parmi