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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/352

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leux en est entièrement composé. Ainsi, entre les cordons d’espèce différente, il se trouve un ou plusieurs chemins anatomiques. — Maintenant, il faut nous rappeler une loi que nous avons déjà constatée dans la moelle. Plus un fil nerveux a conduit, plus il est devenu bon conducteur. Plus un chemin nerveux a été frayé, plus il a chance d’être suivi. Plus le courant nerveux a été énergique et fréquent de telle cellule à telle autre, plus il a de pente pour passer de la première à la seconde. Quand la préparation a été assez forte et assez longue, la pente devient irrésistible ; arrivé à la première cellule, désormais le courant prend toujours le chemin qui conduit à la seconde. Il se peut que de cette première cellule partent deux, trois, quatre, dix filets ; entre ces dix filets, le courant en choisit un, par force, et toujours le même, celui qui est habitué à le recevoir.

En cela consiste le mécanisme physiologique de l’association mentale : évidemment, il est le même pour un courant simple et pour un courant compliqué, entre deux cellules et entre deux groupes plus ou moins nombreux de cellules ; quels que soient les groupes mentaux associés, si divers et si multipliés que soient leurs éléments, c’est toujours ainsi que leur association s’établit. Deux groupes reliés de la sorte peuvent être comparés à un cliché plus ou moins étendu, cliché d’une ligne, cliché d’une page ; la lettre entraîne le mot, qui entraîne la ligne, qui entraîne la page. Dès lors, on comprend à quoi servent les cinq cents millions de cellules et les deux milliards de fibres de notre écorce cérébrale ; grâce à leur multitude, notre mémoire est pleine de clichés ; c’est pour cela qu’un cerveau humain peut posséder une ou plusieurs sciences complètes, cinq ou six langues et davantage, se rappeler des myriades de sons, de formes et de faits. Quatre cents millions de lettres font mille volumes, chacun de quatre cent mille lettres ; si un cerveau humain contient quatre cents millions de clichés mentaux, cela lui fait une riche bibliothèque de réserve, et il lui reste encore cent millions de cellules pour les usages courants.

Cela admis, on comprend en quoi consiste le souvenir, surtout le souvenir d’un événement ancien, notamment le souvenir qui semble avoir péri et qui ressuscite tout d’un coup, précis et complet, après dix ou vingt ans d’intervalle. Pendant ce long intervalle, la danse de cellules qui le constitue ne s’est point répétée incessamment ; au contraire, après quelques minutes ou quelques heures, elle a reculé graduellement jusque dans des groupes éloignés où elle a fini par s’amortir. Il n’est resté d’elle qu’un cliché, c’est-à-dire une modification de structure dans un groupe lointain de cellules et de fibres, une prédisposition organique, la prédisposition à vibrer dans tel ordre, et par suite, pour le courant nerveux qui atteindra ce groupe,