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séailles. — philosophes contemporains

nètre en nous la loi d’amour, cet accord entre notre pensée et nos puissances inférieures ne suffit-il pas à nous attester l’unité de notre être, qui n’est qu’intelligence et qu’activité ? « À l’appel d’un chant, selon la fable antique, arrivent et s’arrangent comme d’eux-mêmes en murailles et en tours de dociles matériaux. Si les pierres de la fable obéissent à une mélodie qui les appelle, c’est qu’en ces pierres il y a quelque chose qui est mélodie aussi, quoique sourde et secrète, et que, prononcée, exprimée, elle fait passer de la puissance à l’acte. »

Ainsi, ce que nous avons saisi en nous, c’est d’abord une vivante activité, puis par une réflexion plus profonde l’amour, dont l’activité même n’est qu’une première expression déjà comme extérieure. À ces deux principes de la vie morale répondent deux lois : celle de causalité et celle de finalité, qui reproduisent dans leur rapport la subordination des causes dont elles ne font que traduire le mode d’action. Nous pouvons donc résumer ce que nous savons de nous-mêmes en disant qu’en nous la cause suprême est l’amour, qu’en nous la loi des lois est la loi de finalité, mais que le mode d’expression de l’amour est la force active, et le mode d’action de cette force la loi des causes efficientes.

III


L’homme est une partie dans un tout, un fragment dans un ensemble. En se repliant sur lui-même, il n’aperçoit pas seulement un total de phénomènes, un individu, créé par les circonstances, variable comme elles, il saisit encore par une intuition directe l’Être même avec ses lois universelles et nécessaires. S’il en est ainsi, nous pouvons voir les autres en nous, devenir comme la conscience de ce qui nous entoure, et découvrir, par expérience intime, ce qui semblait devoir toujours échapper à ce mode de connaître, la nature et l’essence des choses. « Il existe en nous un sentiment profond d’unité, d’ordre et de proportion, qui sert de guide à nos jugements. Le progrès de la science, c’est de tout ramener par l’observation et le calcul à l’unité de ce type, qui a son modèle dans le sentiment de notre propre existence. L’Être nous appartient, il « pénètre notre intelligence et l’éclairé du flambeau de la vérité[1]. » C’est ce que pensaient Aristote, Leibniz et tous les grands philosophes, dont les méditations se sont portées sur les principes et les

  1. Sophie Germain, cité par M. Ravaisson, Rapport, 1867.