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séailles. — philosophes contemporains

-dessous de la région de la volonté, de la personnalité et de la conscience[1]. »

Si la sensation qui se répète s’affaiblit, c’est qu’elle n’est plus un phénomène passager, un changement brusque, un trouble inattendu ; c’est qu’elle est un état permanent de l’âme, quelque chose de nous-même, un élément de notre existence intérieure. Par la même raison, elle devient un besoin de plus en plus impérieux et qui veut être satisfait : comprise dans notre vie morale, elle en est partie intégrante et ne peut disparaître sans que se produise un véritable déchirement, quelque chose comme la suppression d’un organe, une mort partielle. De même, si l’action qui se répète s’accomplit avec une facilité de plus en plus grande, c’est que cette action devient une faculté spéciale, une puissance nouvelle, qui d’elle-même entre en jeu et réalise son objet.

Nous avons déterminé les lois de l’habitude ; pénétrons maintenant jusqu’à sa nature propre, jusqu’à son essence intime, ce qui nous est d’autant plus aisé que nous assistons à sa naissance et à sa formation, que nous la voyons se faire et se développer en nous. C’est dans la volonté intelligente et réfléchie qu’elle a son origine ; mais peu à peu, par une série de degrés insensibles, elle sort de la sphère de la conscience et se transforme en une tendance irréfléchie, inconsciente, irrésistible, qui se réalise elle-même par cela seul qu’elle existe ; en une force indépendante, qui ne se distingue plus de l’action, qui n’existe que par et pour l’action. Est-ce à dire qu’elle soit complètement en dehors de l’intelligence ? qu’elle ait passé sous l’empire d’un mécanisme aveugle ? Non, car l’habitude est la tendance à une fin qu’autrefois la volonté se proposait, et toute tendance à une fin suppose la pensée ; non, car les mouvements sortis peu à peu du domaine de l’intelligence peuvent y rentrer par une imperceptible transition. La coutume n’est pas une aliénation définitive. Une lumière qui, après s’être obscurcie, se rani ; ne et brille d’un nouvel éclat, n’était pas éteinte. C’est donc toujours la même force intelligente qui est le principe de l’habitude et qui constitue sa réalité. La conscience réfléchie nous a fait découvrir sous l’activité le désir et au delà du désir sa source même, l’amour, qui ne se distingue plus du bien auquel il aspire. L’habitude vient de l’activité réfléchie et nous montre comme elle, mais plus clairement peut-être encore, la loi des causes efficientes subordonnée à la loi des causes finales, l’activité soumise à l’amour, dont elle n’est que l’immédiate expression. Dans la volonté en effet, on peut distinguer l’acte

  1. Thèse sur l’habitude, 1838.