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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/379

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séailles. — philosophes contemporains

ciper d’elle-même, si les organes ne sont pas quelque chose de ce qu’est l’âme même ? Comment les membres deviennent-ils de véritables êtres vivants, des animaux ayant leurs énergies propres et marchant vers des fins déterminées, s’ils ne sont pas déjà des forces instinctives ?

Ce serait à tort qu’on séparerait la plante de l’animal. De plus en plus la science établit qu’un progrès insensible élève, de l’être qui se meut pour ainsi dire sur place, à l’être qui se détache de terre, n’attendant plus que la vie vienne à lui, mais allant au-devant d’elle. Qu’est-ce que le végétal ? Une force inconsciente, à la poursuite d’une fin qu’elle pressent, qu’elle désire et qu’elle atteint par des procédés d’une précision mécanique. Cette définition convient à tous les animaux inférieurs, chez qui l’intelligence ne trouble pas la marche infaillible des tendances naturelles. L’animal veut vivre et se reproduire, c’est-à-dire encore vivre, car se reproduire c’est prolonger son existence au delà des bornes qui lui semblaient assignées. L’œuvre de la plante est la même : tout son travail est de se construire elle-même, de se conserver et d’assurer la perpétuité de son espèce. Si le but poursuivi est identique, les moyens employés sont analogues. Une prévoyance inconsciente prépare un avenir qu’elle ignore. Le sphex cache ses larves dans des animaux, qu’il endort par une piqûre aux ganglions sous-œsophagiens ; par un acte analogue, le pépin s’entoure de nourriture dans le fruit. Chez les abeilles, quand le mâle a fini son travail de fécondation, il est tué, disparaissant dès qu’il n’a plus de raison d’existence ; dans les fleurs les étamines tombent dès qu’elles ont confié le pollen aux pistils. Ainsi l’habitude nous explique l’instinct, qui nous révèle les secrets de la vie végétative. L’instinct est le moyen terme entre l’art de l’homme et l’art de la nature : la continuité n’est pas rompue. L’âme humaine prend conscience de sa fin et la poursuit avec réflexion par une série d’actes voulus ; famé animale, comme fascinée par la vue du bien qu’elle entrevoit, y court sans faillir ; ainsi que l’âme humaine, elle atteint son but par des procédés extérieurs ; ainsi que l’âme végétative, elle agit sans conscience et avec une précision mécanique ; enfin l’âme végétative construit l’organisme par un travail intérieur, sans conscience et sans aller au-devant des matériaux, qu’elle doit trouver près d’elle. Partout où nous voyons la matière s’organiser, nous pouvons donc affirmer que les démarches de la force ne s’expliquent que par le but qui lui marque sa direction, c’est-à-dire que le mécanisme cache la finalité, que la puissance n’est que l’immédiate expression de l’amour.