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analyses. — hüber. Der Pessimismus

s’est niée, notre monde, ce monde réel avec ses soleils et sa voie lactée, qu’est-il ? Néant. » Et c’est sans doute en s’inspirant de cette interprétation du Nirvâna que M. Hartmann a reconnu notre monde pour « le meilleur des mondes possibles », car, dit-il, tout cela finira, et le néant est au bout. Donc, au fond, ce n’est pas la vie tout entière qui est haïssable, mais la vie physique. — Dès lors, que peut-on objecter au bouddhisme populaire, qui ne veut plus d’un idéal entièrement vide, et fait du Nirvâna un paradis, dont la félicité n’est pas la pure négation de toute joie connue, mais un je ne sais quoi de supérieur et partant de semblable à ce que nous appelons de ce nom ? à saint Augustin, qui montre l’absurdité de vouloir, de préférer, de rechercher un certain état et de le nommer en même temps néant ? aux chrétiens, qui, tout en maudissant cette « vallée de larmes », reconnaissent l’utilité, la bonté relative de la vie, comme d’une épreuve, d’une réelle purgation de l’âme ? Or, après cet aveu, le mal ne peut plus être l’essence du monde, « le cœur même des choses. » Il est un pur accident, et notre existence, comme le veut la théorie du péché originel, est un retour au bien, qui ne peut avoir été rendu nécessaire que par une libre déchéance.

Saint Augustin va plus loin. « Le mal, dit-il, est une pure illusion de notre égoïsme ; considéré du point de vue universel, de la « gloire divine, » qui est le vrai, il s’évanouit. Le bien moral même règne partout : chez les innocents, il est la nature, la pureté ; chez les bons, la venu ; pour les méchants, au-dessus d’eux, le châtiment, la justice invincible. L’enfer même proclame la toute-puissance de Dieu. Malebranche et tous les optimistes absolus, tous ceux qui veulent voir dans le monde la domination déjà établie et parfaite du bien, pensent de même au fond. Or, croire à l’idéal réalisé pleinement, fatalement et sans nous, c’est d’un seul coup rendre l’homme inutile, puisque sa lâche est remplie ; impuissant, puisqu’il n’a plus l’idéal qui l’inspire ; et ses efforts, ses angoisses, ridicules : il se croit un ouvrier, il n’est qu’une marionnette. Ainsi on a vu, remarque avec profondeur M. Hüber, le pessimisme renaître du panthéisme, qui fond l’idéal dans le réel, ou plutôt décore celui-ci d’un nom trop beau et oublie l’idéal véritable ; et Schopenhauer succède légitimement à Hegel. Et l’on pourrait ajouter, en poussant plus loin la même pensée de M. Hüber, que le signal de cette renaissance pessimiste, c’est une perversion théorique de la conscience morale. Spinoza, le précurseur de Hegel, l’abolit avec la hardiesse que l’on sait ; pour celui qui voit les choses par la raison, il n’y a plus ni bien ni mal, si ce n’est le vrai, la connaissance du vrai, la résignation à ce qui est. Saint Augustin corrompt étrangement cette conscience, quand il prétend la contenter avec cette cruelle parole : que l’enfer même glorifie Dieu. Platon aussi avait cru qu’il est des fautes inexpiables, des « âmes inguérissables » ; il s’en était consolé en songeant qu’elles servaient, par leurs supplices, d’avertissement aux autres (Rép.y 525 c). Mais cette pensée est le déshonneur du système de Platon. Triste justice, celle qui, contente d’un pouvoir brutal, croi-