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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/419

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analyses. — hüber. Der Pessimismus

tion absolue avec le désespoir, comme aussi la sérénité d’une conscience qui est sans peur, étant sans reproche, avec la sécurité que donne un bon placement. Mais il faut les écarter, quand on veut parler d’une âme parfaite, en qui la nature étant entièrement gagnée et accommodée à la moralité, le bonheur se confondrait avec la vertu. La certitude, qui serait funeste aux autres autant que la négation, lui est bonne à elle. Quant à ses sœurs imparfaites, il leur est permis de croire, d’une foi proportionnée à ce qu’elles peuvent en supporter sans péril. Et voilà pourquoi notre croyance aux vérités les plus hautes est variable, faiblit aux jours de découragement, se ranime avec notre énergie morale. Les yeux de l’esprit, disaient les anciens, s’éclaircissent quand l’âme se purifie[1].

Un homme en qui, plus qu’en aucun autre peut-être, s’est manifestée la foi à la souveraineté du bien et dans le monde et dans nous-mêmes, Socrate a dit qu’il n’y a pas de mal pour l’homme de bien, signifiant par là qu’il n’y a pour l’homme qu’un mal : la faute et ce qui y conduit. Il ajoutait encore : Tous les prétendus biens physiques ne sont que des biens ambigus ; ils tirent tout ce qu’ils ont de bon ou de funeste de l’usage que nous en faisons. — Or, que ces biens soient en nous hommes ou en d’autres êtres, nous en devons juger de même et dire que cela seul est bon, qui conduit à la moralité ; cela seul mauvais, qui en éloigne. Et maintenant si le bien moral, par cela qu’il est l’unique chose dont on ne peut demander l’utilité et par laquelle toute utilité se mesure, est la seule raison d’être de ce qui est, alors il faut bien que tout être ait pour essence de tendre, en quelque manière, à la moralité ; que toute perfection soit du moins quasi-morale ; tout degré de l’être, un pas vers la moralité. Et, en effet, où trouvons-nous le droit, le devoir, de refuser à aucun être l’espérance de s’élever jusqu’à une forme, quelle qu’elle soit, de la vertu ? La jalousie serait-elle plus permise contre les inférieurs, que l’envie contre les supérieurs ? Dès lors, il faut appliquer à tous les êtres la loi essentielle des êtres moraux : il n’est pas une perfection, si humble qu’elle soit, qui puisse être un don gratuit. Toutes doivent être le fruit des efforts de celui en qui elles résident. Aussi les êtres, pour ne devoir qu’à eux-mêmes tout ce qu’ils sont, doivent avoir commencé aussi près qu’il se peut du

  1. Il y a, semble-t-il, de l’outrecuidance à prétendre connaître ces vérités-là, puisque cette connaissance serait le prix d’une haute vertu. Mais Aristote ne dit-il pas qu’il nous arrive à tous d’être par instants ce que Dieu est toujours ? Ainsi il est permis de professer ces vérités, sans oser les affirmer, avec une foi chancelante et qu’on avoue pour telle. Quant à faire passer cette foi pour certitude, c’est là que serait l’outrecuidance et le mensonge. Il existe bien une foi hautaine, qui ignore ces défaillances et ces progrès laborieux ; cette foi fait même l’étonnement du philosophe, et il est tenté d’en dire ce que Proudhon, avec bien moins d’équité, disait de la femme : « qu’elle fait le désespoir du juste. » Mais, au fond, n’a pas la foi qui prétend l’avoir. Et peut-être aucun homme jamais ne l’a-t-il possédée dans sa plénitude. Aucun, à moins que dans l’humanité il ne se soit rencontré un saint.