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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/421

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analyses. — hüber. Der Pessimismus

Dieu n’a eu qu’à proclamer sa victoire. Sous peine de ne rien faire, Dieu ne pouvait faire qu’un monde le plus voisin possible du néant, le pire possible, en un sens. Et, pour mieux dire, la future dignité des êtres exigeait qu’ils partissent du plus bas degré de l’existence, pour gravir tous les échelons eux-mêmes. Le monde seul est maître de sa destinée. Ὁ θεός ἀναίτιος.

Dès lors, la liberté morale étant « le cœur même des choses », tout mal, comme tout bien, a son principe dans les êtres où il réside. Ce qu’on nomme le mal métaphysique (et qui n’est peut-être qu’un mal physique, mais plus sourdement senti ; sans quoi nous ne verrions pas les derniers des êtres, les plus dépourvus des marques de l’intelligence, tendre eux-mêmes au mieux : il faut au progrès l’aiguillon de la douleur, qui n’est que le sens de l’idéal), ce mal est l’état d’un être voisin encore de son point de départ et lent dans sa marche : pourtant il marche. Le mal physique, dans les simples vivants, n’est qu’une insubordination des éléments tant intérieurs qu’extérieurs à l’égard d’une forme, d’un idéal, qui déjà en a discipliné, organisé quelques-uns, mais qui, imparfait, ne peut étendre partout sa domination, et qui même lutte avec d’autres idées. Mais chez les êtres moraux ? dirons-nous qu’eux aussi méritent leurs souffrances ? Non certes, si l’on entend par ce mot qu’il y a des expiations nécessaires, d’inévitables rétablissements de l’équilibre entre le bien et le bonheur, et qu’alors il faut « laisser passer la justice de Dieu ». Mais ils les méritent, oui, en ce sens plus moral, que l’indocilité des éléments accuse ceux qui, étant plus avancés, ont mission de les élever. Socrate disait que nul politique n’a jamais été condamné injustement, et que les Thémistocle, les Cimon, les Périclès, n’étaient point innocents du mal que leur avait fait le peuple : pourquoi ne l’avaient-ils pas mieux instruit ? (Gorgias, 519, B-C.) Il y a en effet une solidarité des êtres ; nul n’est chargé de son salut seulement : un être peut-il être bon, et consentir à ce qu’un autre, si peu de chose qu’il soit, se trouve sacrifié, à ce « qu’un soupir vers le Seigneur ne soit point exaucé » ? Un seul être peut-il être heureux, que tous ne le soient ? ou il n’a pas de cœur, et alors il souffre du plus grand des maux, de celui qui s’ignore et ainsi paraît sans remède ; ou bien toute douleur retentit dans son cœur : « le cœur du poète, dit Heine, n’est point retiré dans un coin du monde (Winkelherz) : il est le centre de l’univers. » Il faut que tous les êtres arrivent à leur perfection, ou pas un seul n’arrivera à la sienne. — Eh bien ! par leurs révoltes qui causent nos douleurs physiques, nos inférieurs nous rappellent à la tâche commune.

Cette tâche, comment en accomplirons-nous notre part ? L’industrie, qui nous apprend à dompter la matière, et l’art, qui nous fait rêver d’un monde meilleur et harmonieux, et pourtant fait d’éléments empruntés au nôtre, nous enseignent ici chacun une moitié de la vérité. Il faut rejoindre ces deux moitiés. Car l’industrie, si elle ne sert que des besoins physiques, sans avoir en vue le but moral, de nous déli-