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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/433

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analyses. — eucken. Geschichte und Kritik

liaires plus indispensables que les sentiments du cœur humain. La question de l’innéité des idées et des sentiments du beau, du juste, de l’honnête laissait d’ailleurs Shaftesbury assez indifférent ; il lui suffit que ces dispositions de l'esprit soient, comme l’instinct, essentielles à l’individu humain.

Une autre partie importante de cette philosophie, c’est la théorie de l’éducation morale et de la direction des caractères. Shaftesbury n’a garde de croire que l’innéité décide du sort de l’individu et que tous les efforts de l’éducation soient peine perdue : « c’est vouloir changer le plomb en or, » a dit Schopenhauer ; il ne pense pas davantage que les circonstances extérieures soient irrésistibles. À ces facteurs du caractère, l’innéité, l’hérédité, les influences environnantes, il ajoute l’activité personnelle et les habitudes volontaires : ses idées sur ce point devançaient, comme le remarque avec raison M. Gizycki, les explications récentes de l’école évolutionniste.

La « philosophie religieuse » de Shaftesbury, dirigée contre ceux qui ne connaissent de la religion que le spectre, suivant l’expression de Diderot, méritait, selon nous, d’être étudiée au point de vue historique, plutôt que théologique. Ce qui restera de l’œuvre de Shaftesbury, c’est sans doute moins son essai d’optimisme, hésitant entre le théisme et le panthéisme, que les pages vivantes, enjouées, de sa psychologie morale.

A. D.


Rudolf Eucken. Gesghichte und Kritik der Grundbegriffe der Gegenwart (Histoire et Critique des idées fondamentales du temps présent). Leipzig, Weit et Comp., 1878.

Ce livre, s’il ne justifie pas entièrement l’attente du lecteur, n’est pas de ceux qui peuvent passer inaperçus des esprits sérieux. Il ne faut pas y chercher une réponse à toutes les hautes et difficiles questions qu’il soulève, ni une étude approfondie et complète des idées fondamentales dont il entreprend l’histoire et la critique. Les différents chapitres dont il se compose n’offrent pas d’ailleurs entre eux un lien systématique qui puisse le faire considérer comme un ouvrage véritable. C’est plutôt une série d’articles ou d’études formant une introduction à un travail que l’auteur lui-même promet plus tard de publier : ταῦτα προοίμια ἐστιν, comme le dit la préface (viii). Il n’en est pas moins digne d’attention ; il mérite d’être lu et médité de quiconque, au lieu de se tenir à la surface des choses, aime à remonter aux principes, c’est-à-dire aux idées qui forment la trame des événements auxquels nous assistons. Elles seules en effet en donnent la clef ou l’explication, comme elles éclairent les problèmes que nous agitons et jettent une vive lumière sur tout le mouvement intellectuel de notre époque, La critique et l’histoire de ses idées sont donc un travail philosophique de la plus haute importance. Celui que nous annonçons, on le reconnaît sur-le-champ, est inspiré et partout pénétré de l’esprit et de la méthode