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celui que redoute M. Chauffard : mais c’est le seul réel, le seul à craindre. L’histoire de la science nous montre qu’une telle crainte n’est pas chimérique. Le champ de la physiologie est encore infesté d’explications finalistes, et nous en trouverons quelques exemples affligeants dans M. Chauffard lui-même. Ne s’oublie-t-il pas, en un endroit, jusqu’à faire de la finalité, de l’unité, « une réalité vivante, une énergie génératrice, la force individualisée qui crée, règle et soutient l’être vivant, » renouvelant ainsi la vieille erreur qui consiste à personnifier une direction nécessairement inactive. »

Mais ce n’est là qu’une défaillance d’un instant, et M. Chauffard ne tarde pas à la réparer. Il déclare expressément que « la finalité ne se rattache pas à un principe distinct de l’organisme superposé à lui, sorte d’être immatériel dirigeant les fonctions de l’économie avec intelligence et prévision. » Nous retombons fatalement, inconsciemment, de gré ou de force, dans la finalité purement métaphysique, contre laquelle l’éminent médecin se débat vainement.

Ce résultat purement spéculatif n’est pas celui qu’il se proposait lorsqu’au début de son livre il promettait à la physiologie les vérités premières qui doivent l’éclairer. Ce n’est pas tout, ajoutait-il, « de proclamer une cause ; il faut encore savoir l’unir aux phénomènes et trouver en elle la réalité des effets qu’elle engendre. » La finalité qui préside aux phénomènes sans les engendrer, qui n’a point de grâce efficace, ne remplit pas ce programme. Dès lors à quoi se réduisent les vérités traditionnelles dont la physiologie militante doit tirer profit ? Elles se réduisent à cet enseignement qu’il y a dans l’être vivant un concert des énergies élémentaires et une certaine subordination des activités particulières à l’activité générale. Le physiologiste militant ne l’apprend pas ; c’est lui au contraire qui l’enseigne au philosophe : il va au delà de cette vérité banale, cherchant à établir la part équitable des droits de l’organisme total et des droits des parties. C’est là précisément ce que fait Claude Bernard dans l’admirable chapitre qu’il a consacré à la conception des organismes vivants.

La partie doctrinale de l’œuvre de M. Chauffard finit ici. Si l’on voulait inscrire un nom sur le fronton de cet édifice singulièrement fragile, il faudrait employer les mots de « biologisme finaliste », L’appareil de sa construction, purement métaphysique, le rend inutile à la science. Cependant, la tentative de M. Chauffard n’est pas entièrement stérile et l’enseignement qui s’en dégage, pour être contraire à celui que l’auteur avait en vue, n’en est pas moins important à retenir. Le spectacle d’un esprit aussi éminent, qui retire d’un si grand labeur ce maigre fruit, à savoir, en science, la notion du