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moderne. Il est curieux de se demander d’abord jusqu’à quel point l’action de Kant s’est exercée sur eux. Kant est le père de la critique, comme Aristote celui de la logique. On ne peut continuer ou refaire son œuvre, sans commencer par la juger.

Hartmann en fait ressortir habilement les conséquences sceptiques, et essaye de tirer de l’analyse des catégories un réalisme, qui concilie les exigences de la science et celles de la métaphysique, qui échappe au subjectivisme ruineux ou contradictoire de l’idéalisme critique, sans tomber dans le dogmatisme naïf de la croyance populaire ou s’égarer dans les chimères de la philosophie transcendante. Dühring rejette presque absolument, comme Gidéon Spicker, la critique de Kant. Il l’accuse, non moins que le positivisme de Comte, d’avoir étouffé, sous des raisonnements sophistiques, la foi naturelle de l’esprit humain dans sa légitimité et dans sa puissance. À l’exemple du christianisme, elle a enseigné et rendu plus profond, plus irrémédiable, le divorce de la chair et de l’esprit, de la matière et de la pensée. Lange, au contraire, s’associe pleinement à la conception fondamentale du kantisme, la distinction du monde des phénomènes et de celui des noumènes, l’opposition nettement tranchée du domaine de l’expérience et de celui de la spéculation.

A rencontre de Kant, Dühring et Hartmann professent le principe hégélien de l’identité de l’Être et de la pensée. Les formes à priori de l’intelligence sont celles mêmes de la réalité. Les lois logiques de la causalité, de la raison suffisante, de l’analogie, dominent également et les choses et l’esprit. Hartmann, dans son Fondement critique du réalisme transcendantal, s’attache à démontrer la valeur objective des catégories. Dühring, dans sa Dialectique naturelle et dans son Cursus, s’applique à soutenir que le principe logique de la raison suffisante ne s’applique ni aux unités atomiques, ni aux types spécifiques et aux lois qui en règlent l’apparition successive, ni enfin à l’Être universel. Ces réalités suprêmes sont comme les « nécessités dernières », dont l’affirmation s’impose, mais demeure inexplicable à la raison. La logique hégélienne, dont Dühring s’inspire plus souvent qu’il ne l'avoue ou ne le croit, reçoit par là une profonde atteinte. Lange, fidèle avant tout aux enseignements de la Critique de la raison pure, considère la connaissance humaine comme la résultante de deux facteurs également inconnus, la chose en soi et notre organisation, qui ne sont, au fond, pour nous que deux concepts négatifs et comme les limites infranchissables de notre savoir. Nos sensations et nos jugements se composent d’un double élément, d’une matière variable et d’une forme constante. C’est à l’expérience à les distinguer ; et tandis que Kant fait reposer la détermination des for-