Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conformera, il est certain que, pour le moins, il ne tirera point des conclusions fausses de prémisses vraies. En réalité, l’importance des faits qu’on peut déduire des postulats impliqués dans une question logique se trouve être plus grande qu’on ne l’eût supposé, et cela pour des raisons qu’il est difficile de faire voir au début de notre étude. La seule que je me bornerai à mentionner est que des concepts qui sont en réalité des produits d’une opération de logique, sans qu’ils paraissent tels au premier abord, se mêlent à nos pensées ordinaires et causent fréquemment de grandes confusions. C’est ce qui a lieu, par exemple, avec le concept de qualité. Une qualité prise en elle-même n’est jamais connue par l’observation. On peut voir qu’un objet est bleu ou vert, mais la qualité bleu ou la qualité vert ne sont point choses qu’on voit, ce sont les produits d’une opération de logique. La vérité est que le sens commun, c’est-à-dire la pensée quand elle commence à s’élever au-dessus du niveau de la pratique étroite, est profondément imprégné de cette fâcheuse qualité logique à laquelle on applique communément le nom d’esprit métaphysique. Rien ne peut l’en débarrasser, sinon une bonne discipline logique.

III

On reconnaît en général la différence entre faire une question et prononcer un jugement, car il y a dissemblance entre le sentiment de douter et celui de croire.

Mais ce n’est pas là seulement ce qui distingue le doute de la croyance. Il existe une différence pratique. Nos croyances guident nos désirs et règlent nos actes. Les Assassins (Hatchichins) ou sectateurs du Vieux de la Montagne couraient à la mort au moindre commandement, car ils croyaient que l’obéissance à leur chef leur assurerait l’éternelle félicité. S’ils en avaient douté, ils n’eussent pas agi comme ils le faisaient. Il en est ainsi de toute croyance, en proportion de son intensité. Le sentiment de croyance est une indication plus ou moins sûre, qui s’est enracinée en nous, une habitude d’esprit qui déterminera nos actions. Le doute n’a jamais un tel effet.

Il ne faut pas non plus négliger un troisième point de différence. Le doute est un état de malaise et de mécontentement dont on s’efforce de sortir pour atteindre l’état de croyance. Celui-ci est un état de calme et de satisfaction qu’on ne veut pas abandonner ni changer pour adopter une autre croyance[1]. Au contraire, on

  1. Je ne parle point des effets secondaires produits dans certaines circonstances par l’intervention d’autres mobiles.