Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/573

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sont supposés avoir pour base certaines maximes, on rencontrera nécessairement des traces de cette politique, produit naturel d’un instinct social.

Ce système est toujours accompagné de cruautés, qui, lorsqu’on l’applique avec persistance, deviennent des atrocités de la plus horrible sorte aux yeux de tout homme raisonnable. Cette conséquence ne doit pas surprendre, car le ministre d’une société ne se sent pas le droit de sacrifier à la pitié les intérêts de cette société, comme il pourrait sacrifier ses intérêts particuliers. La sympathie et l’instinct de société peuvent ainsi naturellement produire un pouvoir absolument impitoyable.

Quand on juge cette méthode de fixer la croyance, qu’on peut appeler la méthode d’autorité, il faut tout d’abord lui reconnaître une immense supériorité intellectuelle et morale sur la méthode de ténacité. Le succès en est proportionnellement plus grand, et de fait elle a mainte et mainte fois produit les plus majestueux résultats. Même les amoncellements de pierres qu’elle a fait entasser à Siam, en Égypte, en Europe ont souvent une sublimité que surpassent à peine les plus grandes œuvres de la nature. À part les époques géologiques, il n’est point de périodes de temps aussi vastes que celles qu’ont parcourues plusieurs de ces croyances organisées. En y regardant de près, on verra qu’il n’en est pas dont les dogmes soient toujours demeurés les mêmes. Mais le changement y est si lent et si imperceptible, pendant la durée d’une vie humaine, que la croyance individuelle reste presque absolument fixe. Pour la grande masse des hommes, il n’y a peut-être pas de méthode meilleure. Si leur plus haute capacité est de vivre dans l’esclavage intellectuel, qu’ils restent esclaves.


Toutefois, nul système ne peut embrasser la réglementation des opinions sur tout sujet. On ne peut s’occuper que des plus importants ; sur les autres, il faut abandonner l’esprit humain à l’action des causes naturelles. Cette imperfection du système ne sera pas une cause de faiblesse aussi longtemps que les opinions ne réagiront pas les unes sur les autres, c’est-à-dire aussi longtemps qu’on ne saura point additionner deux et deux. Mais, dans les États les plus soumis au joug sacerdotal, se rencontrent des individus qui ont dépassé ce niveau. Ces hommes ont une sorte d’instinct social plus large ; ils voient que les hommes en d’autres pays et dans d’autres temps ont professé des doctrines fort différentes de celles qu’ils ont eux-mêmes été élevés à croire. Ils ne peuvent s’empêcher de remarquer que c’est par hasard qu’ils ont été instruits comme ils le sont et qu’ils ont