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nolen. — les nouvelles philosophies en allemagne.

n’est pas plus réduite au silence sur ce point que sur les autres ; et que l’application du calcul et de l’expérience ne connaît pas de limites infranchissables. C’est par l’opposition des énergies de la matière, c’est par l’action combinée du mouvement mécanique et d’obscures tendances (dunkeln Antrieben)[1] de la matière que Dühring explique le fait de la conscience. Il n’est pas juste de soutenir qu’il dérive la pensée non plus que la vie du pur mécanisme. N’avons-nous pas vu déjà qu’il recourt à des types idéaux pour rendre compte de la diversité spécifique des organismes. Mais sa théorie, ici comme ailleurs, manque de clarté et de conséquence, par suite du dualisme secret dont elle contient les germes. La doctrine de Hartmann, en dépit des formes mystiques ou des métaphores qui l’enveloppent, est beaucoup plus facile à saisir et plus rigoureuse que celle de Dühring. La matière se résout en idée et en vouloir, comme toute autre forme de l’existence universelle ; le problème n’est plus d’expliquer comment s’effectue le passage de l’activité mécanique à l’activité psychique, mais comment l’être s’élève de l’inconscience à la conscience. Il serait même plus juste de dire que, la conscience étant partout présente dans l’univers, chez les individus atomiques comme chez les individus organisés, la conscience, au sens vulgaire du mot, la conscience animale, par exemple, ne diffère que par le degré de celle des végétaux, de celle des atomes. Il faut encore avouer, et Hartmann le reconnaît lui-même, que la Pensée absolue n’est pas aussi étrangère à la conscience qu’il paraît au premier abord ; et que par conséquent la conscience se trouvant dans le principe même des choses, le problème se réduit à expliquer comment de la conscience absolue ou de la supra-conscience dérive la conscience pure, avec ses oppositions, ses degrés et ses imperfections. Nous nous trouvons à peu près alors sur le même terrain et aux prises avec les mêmes difficultés que le spiritualisme proprement dit. Et, sur ce terrain, l’idéalisme hégélien, dont Hartmann s’inspire, est dans une situation bien autrement favorable que le matérialisme de Dühring. Il n’y a pas, pour lui, de saut, de brusque transformation dans l’évolution de la vie universelle. L’être ne s’élève pas tout d’un coup de l’activité mécanique à l’activité psychique. Partout se retrouvent, comme chez Leibniz, la représentation et le vouloir, avec des degrés à l’infini d’obscurité ou de distinction. C’est à notre avis l’une des questions les mieux étudiées dans le livre, de Hartmann que celle des formes progressives de la conscience, que l’analyse de leurs conditions phy-

  1. Vaihinger, p. 96.