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Malgré le ridicule de leur impuissance, les efforts bruyants d’un obscurantisme arriéré cachent un danger sérieux. C’est, à la vérité, une entreprise pitoyable que de vouloir mettre des barrières autour de l’esprit humain : il les franchira tôt ou tard, mais on ne saura plus régler sa course, parce qu’on aura trop longtemps voulu l’arrêter. La philosophie est revenue en honneur ; ses principes gagnent tous les jours en solidité, ses méthodes en précision, ses observations en richesse et en exactitude ; en étendant le nombre de ses découvertes, il faut qu’elle multiplie aussi celui de ses adeptes. Ç’a été le tort de presque toutes les écoles philosophiques de l’antiquité que de se tenir au-dessus ou à côté du mouvement des masses, de ne pas faire de prosélytes en dehors de l’étroit cercle d’une aristocratie raffinée ; en agissant ainsi, elles ont creusé elles-mêmes la fosse où elles sont descendues avec tout le trésor de la civilisation antique. Instruite par cet exemple, la philosophie moderne, qui a eu tant de peine à naître et à vivre, serait inexcusable de renouveler la même faute. À l’heure où le navire des vieilles croyances se disloque et fait eau de toutes parts, c’est à elle de prévenir au gouvernail des mains moins loyales, mais plus hardies ; une fois négligées, les belles occasions ne se retrouvent plus de sitôt, car les charlatans sont nombreux, et les dupes sont, comme on sait, depuis Adam, en majorité.

Théodore Reinach.