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Hartmann connaît mieux le naturel de l’homme ; Lange a plus étudié ses facultés discursives : il faut les compléter l’un par l’autre. Dühring nous paraît avoir beaucoup moins contribué au progrès de la psychologie. Non qu’il ne soit excellent, sur ce point comme ailleurs, de corriger le scepticisme critique de Lange ou l’idéalisme transcendant de Hartmann par le réalisme décidé de Dühring. L’homme n’en reste pas moins, en dépit des vigoureux efforts de ces penseurs, l’abîme mystérieux, insondable, proposé aux doubles investigations des philosophes. Ni le doute stoïque de Lange, ni le dogmatisme naïf de Dühring, ni l’inspiration métaphysique de Hartmann n’ont réussi à en éclairer toutes les profondeurs.

Pour épuiser les grands problèmes de la philosophie théorique, il nous reste à parler des derniers principes. Lange, enfermé imperturbablement dans son subjectivisme critique, nous condamne à ignorer la raison suprême des choses et ne nous livre que les principes de la connaissance. La métaphysique de Dühring et de Hartmann prétend bien nous dévoiler les secrets de l’être et de la pensée, et remonter jusqu’à la source même de la réalité et de la vérité. Lange fait sortir toutes nos idées de deux facteurs : la sensation ou l’affection du moi, et la fonction synthétique de l’intelligence. Mais il ne se prononce pas comme Fichte sur la nature de la cause qui produit cette affection. Nous avons montré qu’il n’ose même pas, comme Kant, affirmer l’existence du non-moi, et soutenir que la réalité du non-moi est indépendante de celle du moi. Il n’est pas davantage en état de nous dire ce qu’est au fond ce moi, dont la conscience perçoit bien les modifications sensibles et analyse l’activité logique, mais ne pénètre pas l’essence intime, la nature tout entière. N’est-on pas en droit de dire que, dans une telle doctrine, l’activité de la pensée ressemble au mouvement d’un songe, avec cette différence sans doute qu’ici le songe est réglé, et que le rêveur se demande s’il rêve, sans réussir à s’éveiller à la réalité ?

Combien est différent le langage des deux autres philosophes ! Avec quelle confiance ils s’appuient sur le principe de l’identité de l’être et de la pensée, et sur celui de l’analogie ! Ils n’hésitent pas à transformer en lois souveraines de la réalité les données de leur expérience tout humaine et bornée.

Pour les sens, la réalité est attachée à la matière : Dühring n’admet pas d’autre réalité que celle de la matière. Pour les sens, tout sort de la matière et y retourne : la matière est, pour Dühring, le principe éternel et générateur des choses. Cette matière, sans doute, est pénétrée de logique ; elle obéit, dans ses combinaisons, aux lois de la pensée mathématique ; elle porte dans son sein les types immuables