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tèmes de Dühring et de Hartmann condamnent irrévocablement la pensée ? Et, s’il faut comprimer les instincts de la nature pour échapper à l’erreur, n’est-il pas plus aisé et plus sûr de dompter notre besoin de tout savoir que de le vouloir satisfaire au prix de si étranges hypothèses ?


III. La philosophie pratique.


Voyons si, sur les problèmes pratiques, nos philosophes imposent au sens commun et à la nature d’aussi rudes épreuves. Établissons dès l’abord entre eux une différence capitale. Lange, ainsi que Kant, dérive la certitude théorique de la certitude morale : sans doute, il ne s’agit pour lui, dans un cas comme dans l’autre, que d’une certitude relative, subjective. Mais les droits de l’action priment ceux de la connaissance. La valeur des systèmes se mesure à leur influence sur le perfectionnement des caractères. La science doit tout son prix à ce qu’elle est l’instrument nécessaire du commerce de l’homme avec ses semblables, et de sa domination sur la nature. La poésie et la religion ne perdent rien de leur autorité, pour ne répondre à aucune certitude objective : leur vérité pratique défie toutes les attaques du scepticisme. S’il est enfin une notion, dont l’évidence ne soit jamais mise en doute par Lange, c’est celle du devoir. Il en parle toujours dans des termes dignes de Kant et de Fichte. On dirait que le relativisme, où il veut envelopper la connaissance humaine tout entière, cède ici la place à un dogmatisme décidé. Chez Hartmann et Dühring, l’entendement fait la loi à la volonté. C’est à la science que l’homme demande la règle de sa conduite, et la morale ne fait qu’appliquer à la volonté la loi de la nature. Il faut que l’homme se connaisse lui-même, pour connaître son devoir ; et il ne se connaît lui-même qu’autant qu’il connaît l’univers, dont il fait partie. Ce n’est pas au dehors, c’est en lui-même que Lange trouve la loi morale. Qu’irait-il chercher d’ailleurs en dehors de lui-même, alors qu’il est étroitement emprisonné par la théorie de la connaissance, dans la sphère toute subjective de ses impressions et de ses réflexions ? Comment s’inclinerait-il devant les oracles de la nature, puisqu’il a conscience de ne saisir en eux que l’écho de ses propres pensées ? Quelle autorité pourrait-il accorder à des lois qui ne valent que par lui et pour lui ? La métaphysique et la science, en un mot, fondent la morale chez Dühring et Hartmann : c’est le contraire pour Lange.

Pour les deux premiers, la fin de la volonté, c’est le bonheur, et