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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/70

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de Hartmann. À part l’argument que nous venons d’indiquer, celui de la nécessité du changement, les raisons de l’optimiste sont beaucoup moins développées, moins originales, moins fortes que celles de son adversaire. Tant il paraît plus facile, comme on l’a souvent observé, d’analyser la souffrance, que de décrire le plaisir. Ce n’est pas un médiocre mérite du reste pour Hartmann d’avoir su rajeunir, par la finesse, la pénétration, la richesse de ses observations, un thème qui semblait usé par les moralistes chrétiens, et par la philosophie de Schopenhauer. Mais ni Hartmann ni Dühring ne réussissent à convaincre l’esprit critique de Lange. Il ne voit, dans ces deux conceptions opposées du prix de l’existence, que deux formes contraires d’un dogmatisme inacceptable. La pensée de l’homme ignore le fond des choses, et n’embrasse point l’universalité de l’être. Elle ne peut juger la vie, qu’elle ne connaît ni dans l’ensemble ni dans son essence. Le pessimiste et l’optimiste sont dupes de leurs abstractions. Chacun d’eux envisage l’univers sous un point de vue exclusif. Au regard d’un juge impartial, le monde de nos sensations, le seul que nous saisissions, n’est exclusivement ni bon ni mauvais. Le plaisir et la souffrance se le partagent également. D’ailleurs, le plaisir et la souffrance n’expriment que les relations des choses à l’individu et ne nous apprennent rien de ce qu’elles valent en elles-mêmes. La certitude et l’autorité du devoir sont tout à fait indépendantes de la valeur des hypothèses, que la pensée métaphysique hasarde sur le fond des êtres.

Nous n’entrerons pas dans le détail des théories pratiques, qui répondent à ces conceptions différentes du prix de la vie et de la fin des volontés. Conséquemment au dessein de son livre. Lange s’attache surtout à la critique des théories morales, qui se sont inspirées du matérialisme. C’est dans les derniers chapitres qu’il expose ses vues personnelles sur la révolution économique et religieuse. Il en attend la réalisation pacifique des progrès de la philosophie critique. On le voit tel que ses livres populaires sur le paupérisme et la réforme sociale, tel que sa vie et son enseignement l’avaient depuis longtemps fait connaître, vivement préoccupé des misères de la classe ouvrière, profondément inquiet des conflits désastreux que l’opposition du travail et du capital prépare à l’avenir, et ardemment désireux d’en faciliter la solution par la culture morale et scientifique. C’est à une sorte de foi traditionnelle, à un christianisme affranchi du dogme et du clergé, aux influences purement poétiques et morales du sentiment religieux, qu’il veut confier l’éducation des âmes. On se demande si une religion sans croyance, non-seulement sans mystères, est mieux faite pour agir sur les âmes simples,