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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/90

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innée ; préoccupé d’idées spinozistes, il attribuait en fin de compte au langage une origine surnaturelle. L’homme n’en étant que le dépositaire, le langage pouvait être, à ses yeux, spontané et libre à sa source, mais conditionné dans ses manifestations historiques.

Malgré l’indissoluble union de la pensée et du langage qu’il posait en principe, G. de Humboldt avait été forcé de reconnaître que c’est seulement au sein de la communauté sociale que le langage naît, se conserve et se développe : ce qui signifie peut-être qu’en dehors de la vie sociale l’individu n’aurait ni besoin ni souci de penser. C’est le besoin de communiquer avec autrui qui éveille l’idée de parler et l’effort pour se faire comprendre. Le langage n’est donc pas seulement, comme le croyait Herder, issu du développement total des facultés humaines, mais encore du contact et du frottement de l’homme avec d’autres êtres semblables à lui. En conséquence, c’est chose légitime d’affirmer avec Schelling qu’il est impossible de concevoir un peuple sans un langage et une mythologie propres[1]. L’un et l’autre font d’un amas d’hommes un peuple, mais un peuple ne les fait pas : un peuple naît avec sa langue spéciale, sa mythologie spéciale ; c’est par là seulement qu’il est tel peuple déterminé. « Les bases du langage n’ont donc pu être posées avec conscience » : le langage est l’œuvre de l’instinct spécifique de l’homme, avait dit Herder, c’est-à-dire de la raison ou réflexion (en puissance).

Cette manière de voir fut aussi, à peu de chose près, celle de J. Grimm. « L’homme parle, parce qu’il pense… L’enfant commence à parler dès qu’il se met à penser, et les progrès du langage correspondent aux progrès de sa pensée[2]. » Le même savant comprit cette vérité, que les sciences zoologique et linguistique ont bien des fois répétée depuis, que la formation de l’espèce humaine coïncide avec l'origine du langage. Impossible d’admettre que ce langage primitif ait été communiqué ou révélé à l’homme par Dieu : toute révélation implique discours, et par conséquent l’intelligence d’une révélation divine suppose le langage déjà connu de l’homme. Le langage est bien réellement humain : « il est acquis par l’homme avec une entière liberté quant à son origine et à ses progrès. » Grimm croyait en outre que, là où il apparut pour la première fois, il y eut vraisemblablement plusieurs couples (pour assurer la propagation de l’espèce), partant une société primitive, au sein de laquelle germa et se développa le langage. Enfin il eut le mérite de distinguer trois périodes dans l’évolution des langues : 1° une période de création ou de croissance, autrement dit d’apparition des racines ; 2° une période défloraison des flexions ; 3° une période de perfectionnement réfléchi dans la liaison des mots. C’est, il le reconnaissait, l’ignorance de la première période qui fait toute la difficulté de comprendre l’origine du langage.

  1. Einleit. in die Philosoph. der Mythologie.
  2. Ueber den Ursp, der Sprache.