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L’habitude des constructions abstraites et du formalisme, l’emploi des méthodes a priori, sont tellement inhérents à l’esprit allemand que, quand il annonce qu’il va s’en défaire, après en avoir lui-même reconnu et signalé les abus, il y revient sans cesse et recommence toujours la même œuvre qu’il a déclarée vaine ou prématurée. Cette publication nouvelle en est la preuve manifeste. Pous nous, nous sommes loin de condamner la métaphysique, ni de vouloir déprécier les grands travaux de la spéculation allemande qui ont précédé, en particulier de méconnaître ce qui a été fait en ce genre sur les problèmes de la science et de la philosophie de l’art ou du beau. Mais chaque époque a sa tâche, qui n’est pas celle de l’époque qui l’a précédée. La nôtre, on l’a dit cent fois, n’est pas de recommencer, sous des noms différents, ce que d’autres, doués du véritable génie spéculatif, n’ont pu mener à bonne fin ou, de l’aveu de tous, ont laissé fort imparfait. Cette tâche est plus modeste et plus sûre. La méthode à suivre nous est toute tracée : c’est celle de l’expérience et des recherches scientifiques qui la prennent pour guide. Ce que veut la science actuelle, c’est, comme le dit très-bien M. Byck, de revenir à la vie ; mais la vie, elle est absente des formules abstraites et vides dont la philosophie allemande chez ses prédécesseurs ont tant abusé. La vie, elle est, sans doute, dans l’ensemble, mais avant tout dans les faits particuliers et les œuvres individuelles, et c’est à l’analyse à la saisir. Ce que veut la science actuelle, ce sont des analyses bien faites, des faits bien décrits, des monographies vivantes, non d’ambitieuses et fragiles synthèses.

C’est ainsi que doit être conçue la vraie physiologie du beau. C’est en pratiquant cette méthode en l’absence de toute préoccupation systématique que l’on sentira battre « le pouls de la vie » dans les formes de l’art. L’auteur ne doit pas ignorer le reproche principal qu’on adresse à l’esthétique hégélienne. N’est-ce pas précisément, malgré ses mérites supérieurs, d’avoir effacé la vie qui circule dans les œuvres de l’art, et cela à force de généraliser ses conceptions, de ramener toutes les formes du beau à des idées abstraites ? N’est-ce pas d’avoir ainsi étouffé l’individualité, la liberté, la vie sous le mouvement fatal des lois logiques et de la dialectique des idées ? Ressusciter cette méthode après l’avoir blâmée et en disant qu’on en suit une autre, reproduire les mêmes formules ou en inventer de nouvelles, en un mot refaire de la métaphysique abstraite en annonçant qu’on fait de la physiologie, nous paraît peu propre à réhabiliter la théorie du beau aux yeux des savants et des esprits positifs.

Ch. B.