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tannery. — la théorie de la connaissance

« Si l’on veut rendre accessible ce résultat à la représentation, on peut en tout cas se représenter le monde comme un produit de l’action réciproque d’individualités (naturellement conscientes) ; mais, dans cette action réciproque de facteurs homogènes, il faut entendre que la forme du produit coïncide avec la forme des facteurs, car le monde extérieur et l’individu sont entre eux dans le rapport d’une pluralité arithmétique à l’unité. »

L’attribution de l’individualité à un groupe de phénomènes dépend au reste de la constitution du sujet pensant. La personnalité semble donc un concept relatif qu’il n’y a pas lieu d’attribuer absolument à ce qui nous apparaît aujourd’hui comme homme, animal ou plante, pas plus qu’à l’atome des physiciens. Ce dernier sert exclusivement d’élément irréductible pour la construction d’un « squelette logique », si l’on veut se borner à une conception quantitative ; on ne peut donc le regarder d’aucun point de vue comme une monade sentant et pensant, parce que sur l’atome simple, invariable, aucune action du monde n’est possible ; ce n’est qu’un groupe déterminé qualitativement comme unité qui peut subir des changements ; à l’invariable, on ne peut attribuer ni sensation ni pensée.

Si nous ajoutons que l’extension du monde en temps, espace, masse, etc., doit être considérée comme illimitée, parce qu’il faut qu’elle suffise à toutes les possibilités de la pensée, nous aurons achevé la revue des thèses qui caractérisent la métaphysique de notre auteur. En résumé, il rejette absolument la conception des noumènes, et il s’efforce de ruiner la doctrine dualiste, tout en cherchant une nouvelle formule de monisme plus acceptable pour le sens commun que celles qui ont été présentées jusqu’à présent.

Quelque jugement que l’on doive porter sur la valeur des résultats de cette tentative, elle nous a semblé mériter à bon droit d’être signalée. Les critiques, au reste, seraient faciles ; mais nous nous en abstiendrons, car il nous paraît aussi inutile que peu équitable de s’attaquer à une conception métaphysique dont les conséquences morales ne sont pas développées. La question pourra être à reprendre, si, après les sciences mathématiques, M. Schmitz-Dumont essaye une esquisse pour la philosophie des sciences éthiques et esthétiques. Mais tant qu’une doctrine reste en fait dans le domaine de la pure spéculation, qu’elle ne descend pas dans celui de notre conscience, elle est comme tronquée et ne peut prétendre, quelle que soit sa valeur propre, à un avenir d’influence ; les satisfactions que l’esprit peut trouver dans la simplicité des conceptions, la rigueur logique des déductions et la profondeur des aperçus, sont bien peu de chose, tant que nos sentiments plus intimes ne sont pas inté-