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tannery. — la théorie de la connaissance

par le nombre entier, déduction ordinaire d’ailleurs aux traités élémentaires d’arithmétique, n’est-elle pas contre l’ordre naturel des choses ?

Tant qu’on se borne à la répétition pure et simple de l’acte pensant, on ne peut sortir du nombre entier ; les symboles fractionnaires, irrationnels et autres sont dès lors tout aussi imaginaires que  ; il n’y a pas plus de nombre, qui multiplié par 3 donne 2, ou qui multiplié par lai-même donne 5, qu’il n’y en a dont le carré soit – 1.

Ces symboles ont été inventés pour représenter des grandeurs concrètes, continues, et nullement par une nécessité logique. Si pressante qu’elle puisse paraître aujourd’hui, l’histoire montre suffisamment qu’elle a sommeillé trop longtemps pour se faire reconnaître à l’avenir.

À la vérité, les besoins de la vie matérielle ont fait les fractions, par suite d’emploi d’unités de mesure différentes et multiples les unes des autres, presque aussi anciennes que les nombres entiers ; elles suffisent d’ailleurs pour établir une série illimitée dont deux termes peuvent avoir une différence aussi petite que l’on voudra ; mais quelle résistance a-t-il fallu vaincre pour rompre l’harmonie de cette série en y introduisant les nombres irrationnels !

L’existence de quantités incommensurables en général n’est d’ailleurs nullement un fait d’expérience ; pour qui n’a aucune teinture des mathématiques, elle semble même un paradoxe. Platon remarque dans les Lois[1] que les Grecs en général supposent à tort que deux grandeurs données sont toujours commensurables entre elles. Ailleurs, dans le Théétète[2], nous voyons que, suivant la voie ouverte par les Pythagoriciens, d’abord pour rapport de deux grandeurs géométriques, la diagonale du côté et son carré, on démontrait l’existence concrète des racines des nombres non carrés parfaits jusqu’à 17, sans s’être encore élevé à un concept général. Les géomètres postérieurs firent des travaux considérables pour établir l’existence d’autres irrationnelles que les racines des nombres non carrés parfaits et pour montrer que la combinaison des extractions de racines pouvait engendrer une infinité de classes d’irrationnelles non commensurables entre elles. Ces travaux nous ont été conservés dans un livre des Éléments d’Euclide, le 10e, aussi curieux pour l’histoire qu’il est sans valeur pratique actuelle.

À son tour, la pensée qu’il pût y avoir d’autres incommensurables que les irrationnelles fut bien longtemps à naître et à s’implanter. Soupçonnée, par suite de l’impossibilité de trouver la quadrature du

  1. Livre vii (t. ii, p. 398, éd. Didot).
  2. Tome i, p. 113, éd. Didot.