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analyses. — benno erdmann. Kant’s Prolegomena.

n’a aucun rapport avec la supposition de la chose en soi. Si l’on voulait transporter l’idéalisme sur le terrain des noumènes, et, par exemple, « prendre le concept du dualisme de la matière et de l’esprit dans un sens transcendantal », Kant déclare « que l’on fausserait la détermination du concept en prenant une différence du mode de représentation pour une différence des choses représentées » ; et il se réfère à la règle posée dans l’analytique « de ne pas pousser les questions dès que l’expérience possible cesse de nous en fournir l’objet[1]. »

En résumé, dans la Critique de la raison pure, la supposition de l’existence des choses en soi n’est pour Kant l’objet d’aucun doute, bien qu’en général il la présente simplement comme limitation nécessaire de la sensibilité par l’entendement. Et l’idéalisme transcendantal exprime seulement une manière de concevoir la réalité des phénomènes, qui n’implique nullement la négation de la chose en soi.

L’idéalisme dans les Prolégomènes, — a. Il est rattaché plus étroitement au reste du système. Il a été adopté comme « l’unique moyen » de résoudre le problème fondamental de la Critique, le problème de la déduction[2]. — b. « Il ne concerne pas l’existence des choses », que Kant « n’a jamais eu la pensée de révoquer en doute », mais seulement « la représentation sensible des objets[3] ». Aussi Kant renonce-t-il à la dénomination d’idéalisme transcendantal, pour « la remplacer par celle d’idéalisme formel ou mieux critique[4]. » — c. Il est « le contraire » de « l’idéalisme proprement dit », de « l’idéalisme mystique et extravagant de Berkeley », qui nie l’existence des choses. « La Critique fournit le véritable remède contre de semblables chimères[5]. » — d. Ainsi défini, l’idéalisme critique implique l’existence des choses en soi[6].

Tels sont les changements que subit l’idéalisme de Kant en passant de la Critique dans les Prolégomènes. On peut les résumer dans cette formule : Le problème de l’idéalisme n’a plus pour objet la réalité des phénomènes, mais la réalité des noumènes. Au lieu d’établir la réalité subjective des phénomènes pour réfuter l’idéalisme empirique, comme il le faisait dans la Critique, Kant invoque la réalité objective de la chose en soi pour réfuter l’idéalisme dogmatique.

3° Ce changement en entraîne un autre. — La doctrine du moi, telle qu’elle est présentée dans la première édition de la Critique, est fort complexe. Kant y considère le moi sous un triple aspect. La théorie du sens intérieur, analogue à la théorie du sens extérieur, conduit à distinguer le moi comme phénomène, corrélatif de l’objet sensible, et le moi comme noumène, fondement inconnaissable de l’intuition inté-

  1. Crit., tome ii, p. 457.
  2. Prolég., p. 198.
  3. Prol., p. 69.
  4. Prolég., p. 195.
  5. Prol., p. 69.
  6. Cf. Prol., p. 67-68.