Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
218
revue philosophique

toute supposition injurieuse. « Le petit écrit » des Prolégomènes est comme une de ces préfaces où le poète dramatique, froidement accueilli à la scène, cherche, par la confidence de ses intentions intimes, à se frayer accès dans l’esprit du lecteur. Kant y plaide en quelque sorte pour sa témérité de novateur les circonstances atténuantes : il indique le développement historique de sa pensée et par où il se rattache au passé ; il y révèle ses préoccupations morales croissantes, auxquelles il s’abandonnera bientôt tout entier ; il y confesse enfin sa foi personnelle : il n’a jamais douté des réalités supra-sensibles. — La Critique de la raison pure, au contraire, c’est le monument élevé à la science métaphysique, immobile comme elle, et qui dans sa sévérité sculpturale n’admet aucune ligne indécise, aucune forme étrangère à son caractère propre. Pendant les longues années où l’idée critique reçut sa croissance organique, Kant dut sans cesse restreindre et concentrer ses pensées sur l’unique problème. Il a taillé souvent dans la matière vivante de sa foi le pur contour de l’œuvre scientifique. Et puis la pensée lentement accumulée par la volonté tenace a son enthousiasme aussi, comme la pensée ailée du poète, et qui donc pourra dire si dans ces heures d’exaltation lucide, comme enivré d’abstraction, le penseur n’entrevit pas au bout des longues avenues de la Critique quelque horizon ouvert, sur lequel retomba ensuite le voile épais de la croyance ?

Darlu.