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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

sans révolution violente, ne dérangent pas beaucoup ni longtemps la marche accoutumée des affaires. C’est là une idée bien superficielle du passé comme de l’avenir. Les diverses réformes accomplies par les deux dernières générations ont été au moins aussi fécondes en conséquences importantes qu’on l’avait prédit. Les événements ont souvent démenti les prédictions qui annonçaient des effets soudains, et quelquefois aussi le genre des effets attribués à ces réformes. La vanité des espérances de ceux qui crurent que l’émancipation des catholiques pacifierait l’Irlande et la réconcilierait avec le gouvernement britannique nous fait rire aujourd’hui. Dix ans après le vote du bill de réforme de 1832, personne ne croyait plus guère que ce bill dût mettre fin à tous les abus graves, ou bien ouvrir la porte au suffrage universel. Mais considérez-en les effets vingt-cinq ans plus tard. On en voit presque partout des conséquences indirectes qui dépassent les conséquences directes en importance. Dans le cours de l’histoire, les effets soudains ne touchent en général qu’à la surface des choses. Les causes qui pénètrent profondément et descendent jusqu’aux racines des événements futurs, ne produisent leurs plus sérieux effets qu’avec lenteur ; elles ont le temps de prendre place dans l’ordre de choses familier à tous, avant que l’attention générale se porte sur les changements qu’elles produisent. En effet, lorsque ces changements deviennent apparents, les observateurs superficiels aperçoivent rarement le lien particulier qui les rattache à leur cause. Il est rare qu’on comprenne les conséquences d’un fait politique nouveau, au moment où elles se présentent, si l’on n’en a pas fait auparavant l’objet de ses méditations.

Nous sommes dans le moment le plus favorable pour apprécier les conséquences du changement opéré dans nos institutions par la réforme électorale de 1867. La force électorale grandement augmentée que cette réforme met aux mains des classes ouvrières, est un fait acquis. Les circonstances qui les ont portées jusqu’ici à faire un usage si modéré de cette puissance sont essentiellement passagères. Le plus inattentif des observateurs n’ignore pas que les classes ouvrières ont déjà des visées politiques à elles, en qualité de classes ouvrières, et que probablement elles s’en proposeront pour lesquelles, à tort ou à raison, elles se persuadent que les intérêts et les opinions des autres classes puissantes sont opposés aux leurs. Quelque retard que le défaut d’organisation électorale des ouvriers, leurs divisions ou les causes qui les ont empêchés jusqu’ici de donner à leurs vœux une forme applicable suffisamment précise, apportent pour le moment à la réalisation de ce projet, il