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ments de forme que présente, selon la diversité des agrégats, le phénomène unique du mouvement ; mais il dit que le mouvement devient chaleur ou lumière, comme s’il s’agissait, non pas d’une autre forme, mais d’une autre nature. Ce n’est pas là une transformation, dans le sens primitif et parfaitement intelligible de ce terme, mais une véritable transmutation, au sens des alchimistes du moyen âge. L’idée fausse que le mouvement, en devenant chaleur et lumière, devient autre chose que lui-même, et cela d’une façon incompréhensible, le conduit à penser que, d’une façon incompréhensible aussi, le mouvement devient sensation et pensée. Je relis son texte : « La loi de métamorphose qui règne parmi les forces physiques règne également entre celles-ci et les forces mentales. Les modes de l’inconnaissable que nous appelons mouvement, chaleur, lumière, affinité chimique, etc., sont transformables les uns dans les autres, et, dans ces modes de l’inconnaissable que nous distinguons par les noms d’émotion, de sensation, de pensée ; celles-ci, à leur tour, peuvent, par une transformation inverse, reprendre leurs premières formes… Comment se fait cette métamorphose ? Comment une force qui existe sous la forme de mouvement, de chaleur, de lumière, peut-elle devenir un mode de conscience ? Comment les vibrations aériennes peuvent-elles engendrer la sensation appelée son ? Comment les forces mises en liberté par les changements chimiques opérés dans le cerveau peuvent-elles produire une émotion ? Ce sont des mystères qu’il n’est pas possible de sonder ; mais ils ne sont pas plus profonds que les transformations des forces physiques les unes dans les autres. Ils ne dépassent pas plus la portée de notre intelligence que ne la dépasse la nature de l’esprit et de la matière. Ce sont simplement des questions insolubles, comme les autres questions dernières[1]. » Les rapports des mouvements divers de la matière avec les sensations qui leur correspondent constituent certainement une question insoluble, comme toutes les questions dernières. Ces rapports sont un élément primitif de la constitution des choses, dont l’explication ne peut pas même être cherchée, parce qu’il est impossible d’entrevoir dans quelle direction on la chercherait. Mais identifier, au point de vue de l’intelligibilité, les changements de forme des mouvements, c’est-à-dire des modifications de direction et de vitesse qui dépendent de la nature des agrégats, et la transformation des mouvements en phénomènes psychiques, c’est une manifeste erreur. La

  1. Les premiers Principes, p. 232 et 233. — M. Renouvier a fait une critique excellente de ce passage dans la Critique philosophique du 10 octobre 1878.