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ce n’est pas seulement aux phénomènes moraux proprement dits qu’on peut faire appel ici, mais encore à l’observation psychologique dans ce qu’elle a de plus élémentaire et de plus certain. Un mouvement réflexe se distingue très-clairement d’un mouvement volontaire. Si je veux approcher ma main d’un corps brûlant, je distinguerai, sans l’ombre de difficulté, le mouvement réflexe ou instinctif qui tendra à éloigner ma main, et le mouvement volontaire qui pourra s’opposer au mouvement instinctif. La transition qui s’opère, par le moyen de l’habitude, des mouvements volontaires à des mouvements qui deviennent instinctifs, est une des observations les plus importantes de la psychologie. Mais comment pourrait-on parler de la transition d’un état de mouvement à un autre s’il ne s’agissait pas de deux états distincts ? Dira-t-on que nous n’avons jamais conscience que de mouvements réflexes auxquels nous attribuons, dans certains cas, un caractère volontaire, par l’illusion de la liberté ? Pourquoi l’illusion s’appliquerait-elle dans certains cas et non pas dans d’autres ? Quelles sont l’origine et la nature de ces certains cas ? Admettons qu’on puisse arriver sous ce rapport à une détermination physiologique, ce qui est accorder beaucoup ; reste une autre question. D’où procède dans notre entendement l’idée de la liberté qu’il faut posséder pour pouvoir l’attribuer d’une manière illusoire à certains mouvements ? Si l’idée de la liberté ne procède pas de l’observation de la conscience, d’où vient-elle ? Ce n’est pas une idée complexe dont on puisse trouver l’origine dans des éléments réunis à tort. Admettrait-on que c’est une idée sans cause ? Mais s’il peut exister des idées sans cause, pourquoi n’existerait-il pas aussi des mouvements sans cause ? Voilà la base de toute science renversée. De quel droit nier, en partant d’une hypothèse physique, des faits d’observation qui, pour sortir du domaine de l’expérience sensible, n’en sont pas moins certains et faciles à constater ? En accordant que le principe de la constance de la force s’applique sans exception ni réserve au monde purement matériel, de quel droit l’étendre aux cas où la matière se trouve en rapport avec l’esprit ? Parce que le déterminisme absolu règne dans l’objet des études de l’astronome, du physicien et du chimiste, on n’a pas le droit d’en conclure qu’il exclut les faits dont s’occupe la psychologie. Un tel raisonnement se fonde sur un a priori manifeste ; c’est le fait d’une science qui chevauche hors de son domaine.

On voit que la thèse de M. Renouvier peut être défendue par une argumentation au moins spécieuse ; mais je poursuis un autre but. Je veux chercher à établir qu’en admettant le principe de la constance de la force, et en l’étendant au corps humain, à toutes les con-