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vie est la manière d’être commune à tous les êtres animaux ou végétaux et à leurs éléments.

Mais voici qu’une question préjudicielle et presque paradoxale surgit immédiatement : Y a-t-il vraiment une manière d’être commune à tous ces êtres ? La vie existe-t-elle ? Il y a loin qu’une telle question soit oiseuse, ou que la réponse soit évidente.

Toute une école scientifique en effet la résout négativement, et dans cette école tous les physiologistes anciens, auxquels il convient d’ajouter tous les savants contemporains jusqu’à Dumas et Boussingault, qui ont été les champions les plus ardents du dualisme vital. Si l’on considère un animal en action, on constate qu’il sent, qu’il se meut, qu’il respire, qu’il digère, qu’il détruit, par une véritable opération d’analyse chimique, les matériaux que lui fournit le monde ambiant. C’est par ces phénomènes que se manifeste son activité, sa vie. Or, ajoutent les dualistes, les plantes ne sentent, ne se meuvent, ne respirent ni ne digèrent ; elles édifient en principes immédiats par une opération de synthèse chimique les matériaux qu’elles empruntent au sol qui les porte ou à l’atmosphère qui les entoure. Rien de commun, par conséquent, entre les représentants des deux règnes, si l’on se borne à l’examen des phénomènes dont ils sont actuellement le théâtre. Pour trouver une ressemblance entre l’animal et la plante, il faut faire abstraction de ce qu’ils font, car ils font des choses différentes ou même contraires : on en est réduit à regarder d’où ils sortent. Les uns et les autres sont engendrés et engendrent, ils naissent et ils meurent. Ainsi, tandis que leur état actuel les sépare, leur origine seule les rapproche : et le seul trait qui les unisse est précisément le plus difficile à saisir, le plus mystérieux de tous. Le quid commune n’est donc pas saisissable hic et nunc ; ce n’est pas le fait de chaque moment : c’est un caractère d’origine. Il n’y a pour traduire cette ressemblance que de vagues images, de nuageuses comparaisons. Les physiologistes modernes sont réduits, comme les sculpteurs de l’antiquité, à symboliser la vie sous la forme d’un flambeau que les générations successives pressées les unes par les autres se transmettent de main en main en courant. Hæckel dit quelque part que la physiologie actuelle, très-bornée dans ses prétentions, ne s’occupe ni des fonctions du développement ni du développement des fonctions. L’épigramme tourne ici à l’éloge. Les adeptes de l’école physiologique devront être reconnaissants de ce précieux hommage rendu à l’esprit de prudence scientifique qui les anime, et ils regretteront de ne pouvoir payer de la même monnaie l’aventureux champion du transformisme. Il suffit que la pensée soit juste, et elle l’est en effet, pour que nous en puissions déduire cette