Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
371
stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

voir qui exerce le droit de grâce, une autorité compétente qui accorde des exemptions, dispense de la quantité ordinaire de travail et proportionne la tâche en quelque sorte aux aptitudes. Tant qu’il y aura des paresseux et des égoïstes qui aimeront mieux qu’on travaille pour eux que de travailler eux-mêmes, il sera fait de fréquentes tentatives pour obtenir des exemptions par faveur ou par fraude ; on aura de la peine à les repousser, et on n’y réussira pas toujours. Ces inconvénients se feraient peu sentir, pendant quelque temps du moins, dans les sociétés composées de personnes choisies, ardemment désireuses du succès de l’expérience. Mais les plans de régénération de la société doivent avoir en vue la moyenne des hommes, et, mieux encore, l’immense « résidu » de gens que l’insuffisance de leurs vertus personnelles et sociales range beaucoup plus bas que la moyenne. Les petites querelles et l’animosité qui ne sauraient manquer de se produire à l’occasion de la distribution du travail, quand il faut en venir à de telles gens, contribueraient beaucoup à amoindrir l’harmonie et l’unanimité qui, selon l’espoir des communistes, doivent régner parmi les membres de leur association. Même, dans les circonstances les plus heureuses, la concorde serait bien plus en danger que les communistes ne le supposent. L’institution communiste a des mesures destinées à empêcher les querelles à propos d’intérêts matériels : l’individualisme est exclu des affaires. Mais il est d’autres relations d’où nulle mesure arrêtée d’avance ne l’élimine ; il y aura encore des rivalités entre les personnes pour la réputation et le pouvoir. Lorsque l’ambition personnelle se trouve exclue d’un domaine où, chez la plupart des hommes, elle trouve à s’exercer, celui de la richesse et des intérêts pécuniaires, elle se jette avec plus d’ardeur sur celui qui lui demeure ouvert. On peut s’attendre à voir les luttes pour la prééminence et pour l’influence dans la direction des affaires devenir bien plus âpres, lorsque les passions qui ont la personne pour objet, détournées de leur cours ordinaire, ne trouveront plus leur principale satisfaction que dans cette autre voie. Pour ces diverses raisons, il est probable qu’une association communiste ne nous offrirait pas souvent l’attrayant tableau de l’amour mutuel et de l’unité de volonté et de sentiments que les communistes s’en promettent, à ce qu’ils disent. Souvent, au contraire, la société serait en proie aux dissensions et réduite à se dissoudre.

D’autres causes de discorde, et de bien plus nombreuses, découlent de la nécessité impliquée, dans le système communiste, de faire trancher par la voix de tous les questions qui sont de la dernière importance pour chaque membre de la société et dont la solution, dans le système actuel, demeure réservée aux individus, chacun