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nature. En sorte qu’aucun fait n’est naturel que par sa liaison avec toute la nature ; tout conspire, parce que tout repose sur le même continu de matière et de force.

Tels sont les principes. M. Ardigò ne recule devant aucune de leurs conséquences. Il les déroule avec un accent qui rappelle celui de Lucrèce. Quand on pense que l’écrivain à qui nous empruntons ces conceptions est un Italien, on ne peut s’empêcher de s’étonner qu’Hæckel ait dénié aux races latines la faculté de concevoir la « création naturelle ». Spencer est timide à côté de notre auteur.

Si les deux lignes dont nous venons de parler, c’est-à-dire les deux séries de formes et d’événements que l’on est forcé de parcourir pour rendre raison d’une existence quelconque, se prolongent à l’infini, il est évident qu’il n’y a point de place pour l’intervention d’une action créatrice. Pour bien comprendre cette vérité, il faut se mettre en présence de la nébuleuse immense d’où le système solaire est sorti par voie de distinctions progressives. On l’appelle primitive, et c’est d’elle qu’on part pour expliquer la formation de notre système. Mais c’est un premier tout relatif. Quelle raison y aurait-il de s’arrêter à lui ? La nébuleuse même a besoin d’être expliquée et ne peut l’être que par les formes et les mouvements antérieurs de la matière cosmique dont elle est composée. Sa grandeur disproportionnée ne change rien à cette condition ; par rapport à l’espace infini, elle n’occupe qu’un point. Elle n’a pu se produire que grâce à certaines relations qu’elle a soutenues avec le milieu sans bornes où elle s’est produite. Le phénomène est de même ordre que la formation d’une goutte de rosée dans une atmosphère chargée de vapeurs. Cette formation de la nébuleuse, la condensation de matière qui lui a donné naissance, le mouvement qu’elle n’a pas tardé à manifester, toute la série des phénomènes par lesquels a été préparé dans son sein l’état actuel du monde, tout cela s’explique par les forces déterminées inhérentes aux molécules de matière qui la composaient. La conception d’une matière non déterminée à tel mouvement plutôt qu’à tel autre, d’une matière ayant perdu sa spontanéité, est une abstraction ; on a considéré comme accidentelles toutes les qualités sous lesquelles la matière se manifeste successivement à nous, et on n’a conservé que celle qui accompagne toujours toutes les autres, à savoir la multiplicité des parties ; mais cet artifice logique ne doit pas nous faire illusion. Dans la réalité, comme dans la pensée rendue à son exercice régulier, la matière est tellement inséparable de la force, que la chimie et la physique n’ont plus d’autre moyen de caractériser chaque élément matériel que par les modes de mouvement qui leur sont propres.