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notices bibliographiques

vent gratuit, dont la valeur n’est pas cotée sur le marché, mais qui n’en sont pas moins les facteurs les plus énergiques du travail.

Mais le sentiment n’est qu’une force motrice : pour concourir efficacement à la production, il doit être contenu par le frein des bonnes mœurs. « Il est, dit l’auteur dans son style sobrement coloré de métaphores techniques, de la plus haute importance de cultiver nos sentiments, de les éclairer et de les ennoblir, pour que leur action ne nuise pas au développement de l’individu et de l’espèce, ni en accélérant, ni en retardant le mouvement. Sans une volonté ferme dans l’action, docile à la vérité, point de régulateur possible, et sans régulateur, le travail humain peut aussi bien enrichir la société que la ruiner et la détruire. Nous le répétons encore une fois, le régulateur et l’expansion, dans la machine à vapeur, évitent les pertes de forces et produisent l’économie, et la morale, les besoins moraux, sont le régulateur et la coulisse de la machine humaine. »

Sur ce chapitre important de la morale, et quant à son principe et à son essence, M. Méliton Martin, toujours philosophe sans cesser d’être économiste, est d’accord avec les maîtres de l’anthropologie et de la physiologie contemporaine. Selon lui, la morale n’a pas toujours existé : elle est fille du travail, qu’elle féconde à son tour ; elle a lentement progressé ; elle progressera encore et toujours. La morale individuelle, d’abord, ensuite la morale de relation, se sont développées comme des branches « de l’art de bien vivre ». Considérée à ce point de vue, l’histoire n’est en définitive que l’exposition rationnelle des progrès du travail. Avec le perfectionnement des moyens de vivre, la satisfaction des besoins se trouvait être plus facile, et l’homme, « se sentant plus à son aise, devenait, par cette raison, moins féroce, moins brutal, même généreux. » Chaque conquête sur la nature, sur les forces animales ou cosmiques, a fait prédominer l’effort intellectuel et l’effort sentimental, de plus en plus réglé, sur l’effort musculaire, et a augmenté d’autant le bien-être avec la moralité de l’espèce humaine. Où s’arrêtera le processus de cette évolution harmonique du travail ? Nul ne le saurait prévoir. Mais chaque progrès nouveau amenant un besoin nouveau, l’essor de la civilisation, dans tous les sens, ne peut se voir assigner de limite. L’homme s’affranchira de la force et de la ruse, comme il s’est jusqu’à un certain point affranchi du rude labeur qui lui est si répugnant, en faisant travailler pour lui les animaux, machines vivantes, et les machines, que son intelligence anime et dirige. Tel est le but élevé que M. Méliton Martin propose à l’activité humaine.

En résumé, et comme un ami de l’auteur, M. José Emilio de Santos, le dit dans la préface : « Le livre vise à réunir, sur la même souche, l’utile, le vrai, le bon et le beau, c’est-à-dire à démontrer scientifiquement, dans un langage simple, le desideratum des grands penseurs qui s’intéressent à l’avenir, » C’est, selon moi, un essai de la philosophie du travail, écrit par un travailleur philosophe.

Bernard Perez.