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nolen.les maîtres de kant

d’exemples tout contraires, vers les purs souvenirs de l’éducation paternelle, « vers ce temps béni, où jamais rien d’injuste ou d’immoral n’avait offensé ses oreilles ou ses yeux. » La mère de Kant surtout était profondément pénétrée des enseignements du piétisme et les traduisait à ses enfants avec l’irrésistible éloquence des exemples et des paroles d’une mère.

Schultz n’avait pas tardé à distinguer l’intelligence précoce du jeune Emmanuel ; et il n’eut pas de peine à décider ses parents à lui confier la direction de ses études. Il le fit entrer au Collegium Fridericianum, dont il était alors le directeur, et qu’il avait rendu, par son habile administration, le premier collège de la Cité. Grâce à lui, les maîtres les plus distingués y avaient été attirés, comme Heidenreich, dont l’enseignement philologique eut tant d’attraits pour Kant, comme Borowski et Herder. Du collège sortirent des hommes éminents dans tous les genres, dont la liste serait trop longue. Mais ce n’est pas seulement par la solidité de l’enseignement que l’institution se distinguait des autres. Les mêmes préoccupations religieuses, qui inspiraient tous les desseins de Schultz, le portèrent à faire de son collège une manière de séminaire du piétisme. Non-seulement une part plus grande y fut accordée à l’enseignement religieux, mais les études classiques et le régime intérieur y devinrent des moyens de prosélytisme. Chaque jour, la première leçon était consacrée à la religion ; le grec était surtout enseigné par le Nouveau Testament. L’Écriture sainte formait le thème ordinaire des études historiques. D’après les statuts mêmes de l’institution « on devait rappeler sans cesse aux « élèves, que toutes leurs études se faisaient sous le regard d’un Dieu partout présent[1]. » Les pensionnaires se livraient tous les matins de 5 à 6 heures aux exercices religieux, au chant, au commentaire d’un passage de la Bible. Tous les dimanches soirs, de 10 à 11 heures, une exhortation pieuse leur était adressée. Enfin, chaque classe s’ouvrait et se fermait par une prière.

Ces pratiques un peu monacales, imposées à des enfants, ne pouvaient que les rebuter et les indisposer, comme une sorte de tyrannie. Rühnken, le plus distingué parmi les compagnons d’étude de Kant, ne parlait des années qu’il avait passées au collège de Frédéric qu’avec une certaine amertume. Bien longtemps après, il en rappelait à Kant l’importun souvenir en ces termes : « Anni triginta sunt lapsi, cum uterque tetrica illa quidem, sed utili tamen nec pœnitenda fanaticorum disciplina continebamur. » Kant lui-même déclarait, au témoignage de Borowski, « qu’il n’avait jamais eu de goût pour

  1. B. Erdmann, Martin Knutzen, p. 132.