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l’esprit que par l’intermédiaire des sens ; elle prend corps dans les sons les lignes, les formes et les couleurs, et elle n’existe que par ce corps, auquel elle est mêlée jusqu’à s’y confondre ; elle est sensation avant d’être sentiment, plaisir physique avant d’être joie de l’âme ; elle nous séduit avant de nous enchanter. puisque dans la nature et dans les arts, le beau suppose des éléments matériels, sons ou couleurs, ou peut étudier ces éléments en eux-mêmes et dans leurs rapports avec les organes par lesquels ils sont perçus. Peut-on trouver dans l’étude physique du son et de la lumière (optique, acoustique), dans l’étude physiologique de l’œil ou de l’oreille, la raison du plaisir que cause le langage seul de la beauté ? peut-on tenter une grammaire de cette langue qui charme, avant même qu’on songe à la pensée qu’elle exprime ? C’est cette œuvre qu’a tentée en partie M. Brücke dans le livre qu’il intitule : Principes scientifiques des beaux-arts. Le beau éveille en nous des pensées, des sentiments ; sa création met en jeu toutes les puissances de l’esprit, et il semble que, nous élevant au-dessus de nous-mêmes, sa contemplation multiplie nos forces de concevoir, de sentir et d’aimer : il y a là tout un ordre de phénomènes qui méritent d’être observés. Cette élude compléterait les travaux des physiologistes et achèverait la science du beau ; M. Véron l’entreprend. Il sait qu’il est impossible de rattacher « ces effets moraux de l’art » à leurs conditions organiques, de les ramener aux fonctions cérébrales, trop mal connues encore, et il en conclut qu’il faut renoncer à l’espoir d’en faire la science définitive ; il veut au moins, se plaçant en face des œuvres de l’art, comme le physicien en face des phénomènes de la nature, observer, recueillir des faits et, sinon les expliquer, « les classer dans l’ordre le plus vraisemblable. » En étudiant le livre de M. Brücke, déterminons les rapports des sciences positives avec la beauté, et voyons jusqu’où peut conduire cette étude objective des conditions matérielles de l’art ; nous nous demanderons ensuite, en examinant le livre de M. Véron, si c’est par la méthode qu"il propose en excluant toute psychologie, toute étude directe de l’esprit par lui-même, qu’il faut continuer l’œuvre commencée par les savants ; s’il est nécessaire de se bornera constater et à classer des faits, en attendant que l’on ait découvert les mouvements des cellules nerveuses qui répondent aux idées et aux sentiments ; si, de même que les physiologistes étudient l’œil et l’oreille pour expliquer le plaisir que causent les couleurs et les sons, cherchant dans la constitution de l’organe la raison de son exercice normal, il ne serait pas rationnel et possible d’étudier l’esprit, pour rattacher à sa nature et à ses lois le plaisir et l’activité que suscite en lui la seule présence de la beauté.