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séailles. — la science et la beauté.

gique, à l’analyse de ses propres émotions. Mais il ne sait pas profiter de cette méthode, qu’il pratique en niant sa portée, et son mépris de la science empirique de l’esprit le condamne à signaler des faits toujours inexpliqués. Le beau est ce que l’artiste met de lui-même dans son œuvre. Soit ; mais qu’est-ce qu’il y met ? Par quelle combinaison de sensations, d’idées et de sentiments se manifeste la puissance créatrice ? Ainsi le beau reste à définir comme le génie. Et, les faits n’étant pas coordonnés, les questions se multiplient. Pourquoi l’œuvre du génie réunit-elle précisément les conditions et les éléments du plaisir esthétique ? Pourquoi le génie excite-t-il en nous par sa seule présence une ardente sympathie ? Quel charme, quelle séduction fait qu’à son seul contact la laideur même peut égaler les enchantements de la beauté ? N’est-il pas possible de ramener la laideur apparente dans l’art à une réelle beauté ? L’art décoratif et l’art expressif sont-ils sans rapport ? Les plaisirs qu’ils nous donnent n’auraient-ils pas un même principe ? Autant de questions non résolues, qu’il faudrait résoudre, pour donner l’unité à cet ouvrage tout entier composé de notes et de conclusions.

L’auteur a voulu faire œuvre de savant, prendre la beauté comme objet d’étude, sans préjugé, sans parti pris, en la regardant du dehors comme une chose matérielle, et substituer ainsi l’observation impartiale des faits aux rêveries de la métaphysique. Pour y réussir, il prétend appliquer à la connaissance des sentiments qu’éveille la beauté et du génie qui la crée la méthode employée par les savants dans l’étude des phénomènes de la nature ; il prétend observer les œuvres de l’art comme des faits et de ces faits multiples dégager des lois invariables, puis, se tournant de l’objet vers le sujet, chercher les rapports de l’organe cérébral, instrument de plaisir et de la connaissance, à l’œuvre belle dont il jouit. Que serait donc l’esthétique ? Une physique des œuvres de l’art complétée par une physiologie du système nerveux.

Nous avons vu que l’auteur doit à la réflexion psychologique la plupart des vérités qu’il découvre : nous aurions pu l’affirmer à priori. Ce qui nous intéresse dans la beauté, ce sont nos idées et nos émotions, c’est la vie puissante que crée en nous son contact magique : or cette vie intérieure échappe à la prise des sens. Qu’en dernière analyse la pensée ne soit qu’une vibration nerveuse, un phénomène physico-chimique, réductible aux lois de l’universel mécanisme, peu nous importe ; ce qui est sûr, c’est que le problème ne peut être résolu ; ce qui nous intéresse, c’est de savoir que la psychologie survivrait à la solution de ce problème insoluble, qui ne changerait rien à la différence absolue de nos moyens de connaître les faits extérieurs