Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/63

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un jour la composition de ces étoiles dont la lumière a mis, pour arriver jusqu’à nous, plus longtemps que n’a encore duré l’espèce humaine. Peut-on dire avec certitude ce que l’humanité ignorera dans quelques centaines d’années ? Peut-on deviner les résultats de recherches scientifiques poursuivies pendant dix mille ans avec la même activité que depuis les cent dernières années. Et si on les continuait pendant un million, un milliard d’années, pendant nombre de siècles aussi grand qu’on voudra, est-il possible de dire qu’il y ait une question qu’on ne résoudrait pas à la fin.

Mais, peut-on objecter, pourquoi attacher tant d’importance à ces aperçus lointains, surtout quand vous avez pour principe que, seules, les distinctions pratiques signifient quelque chose ? Soit, j’avoue que cela fait peu de différence de dire ou non qu’une pierre au fond de l’océan, dans une complète obscurité, est brillante. Encore vaut-il mieux dire qu’il est probable que cela ne fait pas de différence, car il faut toujours se rappeler que cette pierre peut être pêchée demain. Mais affirmer qu’il y a des perles au fond des mers, des fleurs dans les solitudes vierges, etc., ce sont là des propositions qui, comme ce que nous disions d’un diamant pouvant être dur alors qu’il n’est pas serré, touchent beaucoup plus aux formes du langage qu’au sens des idées.

Il me semble qu’en faisant application de notre règle, nous sommes arrivés à saisir si clairement ce que nous entendons par réalité, et le fait qui est la base de cette idée, que ce serait peut-être, de notre part, une prétention moins présomptueuse que singulière d’offrir une théorie métaphysique de l’existence, acceptable pour tous ceux qui pratiquent la méthode scientifique de fixer la croyance. Toutefois, la métaphysique étant chose plus curieuse qu’utile, et dont la connaissance, comme celle d’un récif submergé, sert surtout à nous mettre en état de l’éviter, je n’imposerai plus d’ontologie au lecteur.

C. S. Peirce.