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NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES


Eunape. Vies des philosophes et des sophistes, traduites en français par Stéphane de Rouville. 2e édition. Paris, Rouquette. 1879.

La traduction contenue dans ce joli petit volume est d’un style facile et simple, qui contraste même parfois avec la visible affectation de l’original. L’ouvrage lui-même est moins curieux comme recueil de renseignements sur les faits et gestes de sophistes et de rhéteurs dignes pour la plupart du plus parfait oubli, que comme témoignage de l’état des esprits dans le monde païen au ive siècle de notre ère.

Il semble qu’une sorte de puérilité sénile se fût emparée des intelligences même dans lesquelles se survivait pourtant toute la civilisation antique. Bien qu’ennemi déclaré des chrétiens et continuateur de l’école d’Alexandrie, cette grande héritière de la philosophie et de la science grecques, Eunape est atteint de la même crédulité enfantine et superstitieuse et du même besoin de surnaturel qui est comme l’épidémie de son époque. Ainsi, dans la vie de Jamblique, il raconte que ce philosophe fit sortir deux petits enfants du fond d’une source, au grand ébahissement de ses disciples. Il faut lire aussi, dans la vie d’Édesius, la fabuleuse histoire de Sosipatra, pour comprendre de quelles absurdes et plates imaginations se repaissaient même des philosophes. À ce manque complet de sens critique se joint une indifférence profonde pour les idées et une admiration byzantine de la forme. De quels sujets traitaient tous les rhéteurs qui, au dire d’Eunape, étaient des merveilles de sagesse et d’éloquence ? Il néglige presque toujours de nous en instruire ; mais on devine sans peine que la discussion roulait le plus souvent sur des pointes d’aiguille, et que le principal mérite des habiles était d’y faire des tours de force de dialectique et de rhétorique. Incantations et parades, c’est à quoi se réduisait de plus en plus la philosophie. On eût dit que l’esprit de la scolastique n’envahissait pas moins le paganisme mourant que le christianisme naissant. Et cependant Eunape ne parle jamais des chrétiens qu’avec amertume ou colère. Il s’emporte contre « ces gens appelés moines, qui, tout en ayant la forme humaine, menaient la vie des animaux et se livraient ouvertement à toute sorte d’excès. » Et il ajoute : « À cette époque, du reste, tout homme affublé d’une robe noire, et qui ne craignait pas d’affecter en public un maintien peu décent, avait permission d’exercer une autorité tyrannique : c’est à ce haut point de vertu que l’humanité