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nolen. — les maîtres de kant

ces derniers est étroitement associée à leurs conceptions philosophiques, il sera conduit à faire le procès à la métaphysique de son temps et à en chercher l’origine dans un défaut de méthode. Il ne tardera pas à vouloir étendre aux sciences morales la méthode newtonienne, qu’il voit triompher dans les sciences physiques ; et bien des années de méditation lui seront nécessaires pour découvrir l’insuffisance philosophique de la déduction mathématique et de l’analyse expérimentale. Mais il n’abandonnera pas la méthode de Newton, alors même qu’il lui substituera une méthode plus compréhensive et plus vraie, la méthode critique. Et son idéalisme transcendantal ne sera pas moins inspiré par le désir de faire la part aux exigences de la démonstration scientifique, c’est-à-dire aux principes de Newton, que par celui de donner satisfaction aux besoins moraux et religieux, qui se sont développés dans sa conscience sous l’impulsion de Schultz et de Knutzen.

L’évolution, dont nous venons d’esquisser les lignes principales, mérite d’être étudiée dans le détail.


La justification de la physique newtonienne contre les doctrines rivales en marque la première phase et remplit à peu près toute la période de la vingtième à la trentième année. Les Pensées sur la mesure des forces vives[1] trahissent en maints passages le disciple de Newton. Bien que l’objet spécial qu’elles poursuivent, à savoir la conciliation des théories opposées de Descartes et de Leibniz sur la mesure des forces, n’intéresse ni ne satisfasse aujourd’hui le lecteur, il est curieux d’y démêler les témoignages d’une entière adhésion aux principes du grand physicien anglais. Kant veut renouveler, à l’aide de ces principes, la mécanique de Descartes et de Leibniz, dont Wolf a vainement prétendu faire sortir une véritable dynamique (§ 106). « La dynamique de Leibniz s’appuie sur une fausse supposition, qui embarrasse depuis longtemps les philosophes. On admet comme un principe de la physique, qu’aucun mouvement ne se produit dans la nature que par l’intermédiaire d’une matière en mouvement ; et qu’ainsi le mouvement, qui est perdu dans une partie du monde, ne peut être restitué que par un autre mouvement réel ou par l’action immédiate de la main divine. Ceux qui acceptent ce principe sont forcés d’imaginer laborieusement un système artificiel de tourbillons, d’édifier hypothèse sur hypothèse ; et, loin de nous produire, à l’aide de tout cela, un plan simple et intelligible de l’univers, qui nous permette d’expliquer les phénomènes de la nature, ils nous embarrassent dans une complication

  1. Kant’s Werke, t. I, p. 115 et 144 (édition Hartenstein).