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absolu, inspirent évidemment la polémique que Kant dirige contre Leibniz et contre Wolf, « Ce n’est pas que ce concept ne présente de nombreuses difficultés, lorsque l’entendement veut en comprendre la réalité, qui paraît si claire au sens intérieur. Mais cette difficulté, nous la rencontrons toutes les fois que nous voulons philosopher sur les premières données de notre connaissance. Elle n’est jamais si grande, en tout cas, que celle à laquelle on se heurte, lorsque les conséquences d’un concept admis sont en désaccord avec les données les plus évidentes de l’expérience[1]. »

Kant n’a pas encore trouvé, on le voit, la théorie de l’esthétique transcendantale, qui doit concilier les exigences de la géométrie newtonienne avec celles de la métaphysique : mais on sent qu’il est occupé à la poursuivre. Deux ans plus tard, il en donne l’exposé définitif dans la thèse inaugurale : « De mundi sensibilis et intelligïbilis forma atque principiis » (1770) ; la première pierre de l’édifice critique est posée du même coup.

Kant expose dans cet écrit le résultat des méditations auxquelles il s’était livré de bonne heure sur le concept de l’infini. Son maître, }}M.|Knutzen}}, avait, nous l’avons vu, débuté en 1733 dans la carrière philosophique par la thèse « De mundi aeternitate impossibili », où le concept de l’infinité était soumis à une analyse attentive. Le rôle considérable que l’infini mathématique joue dans les calculs de Newton avait tout particulièrement attiré l’attention de Kant. Nous avons vu combien, dans les grandeurs négatives et le mémoire sur l’évidence des principes de la théologie et de la morale, les notions et les méthodes usitées dans les mathématiques préoccupaient la pensée critique du philosophe. Dans l’Histoire du ciel et dans la Monadologia physica, Kant soutenait l’infinie grandeur du monde et l’infinie petitesse des atomes : et en même temps il n hésitait pas à les soumettre à la mesure et à leur appliquer le principe de la conservation de l’énergie. Il suivait en cela l’exemple des mathématiciens. Mais son génie perspicace ne devait pas tarder à démêler la contradiction qui se cache sous ces affirmations différentes. Comment mesurer, c’est-à-dire exprimer en un nombre nécessairement fini, l’infinie grandeur du monde ou l’infinie petitesse de l’atome, soit au point de vue des dimensions, soit au point de vue de la somme d’énergie ? Une grandeur infinie comme une petitesse infinie sont des concepts parfaitement corrects et d’un usage indispensable en mathématiques ; et pourtant une quantité donnée, le monde ou l’atome, ne peut être infinie, puisqu’elle est réelle, déterminée.

  1. Kant’s Werke, t. II, p. 391.