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raison théorique. Il n’hésite pas à mettre sous le patronage de Platon et de la philosophie antique l’idée qu’il se fait de leur opposition. II semble enfui revenir à la métaphysique, dont ses précédents articles le montraient de plus en plus détaché.

Mais la conversion de notre auteur à la métaphysique est plus apparente que réelle ; et nous ne devons pas perdre de vue qu’en l’écrivant il s’adresse à un public de wolfiens. C’est déjà beaucoup que de leur demander de se rallier à ses conceptions critiques sur l’espace et le temps : Kant ne se sent pas encore en état, sans doute, d’aborder les problèmes de la logique transcendantale. Mais ce qui prouve bien que la thèse métaphysique qu’il défend aujourd’hui ne le satisfait pas complètement, c’est le langage qu’il tient à Lambert, en 1770, en lui envoyant sa dissertation : « Je voudrais bien connaître votre jugement approfondi sur quelques points essentiels de ma dissertation ; cela me serait à la fois agréable et utile. Je songe à l’augmenter de quelques feuilles avant de la mettre en vente. Je veux corriger les fautes qui ont échappé à une rédaction trop précipitée, et mieux préciser le sens de ma pensée. La première et la quatrième section peuvent être laissées de côté, comme sans importance ; mais la seconde, la troisième et la cinquième, bien qu’une indisposition ne m’ait pas permis de les soigner comme je l’aurais voulu, me semblent renfermer une matière qui mérite d’être reprise et développée avec soin et étendue. » Les deux sections dont il est si peu satisfait, au moment même où il vient de faire paraître l’écrit, sont justement celles qui exposent les théories métaphysiques de la dissertation. La première traite de notione mundi generatim ; la quatrième, de principiis formæ mundi intelligibilis.

Et comment Kant aurait-il pu oublier sitôt, en effet, toutes les critiques qu’il avait multipliées dans ses derniers ouvrages contre la métaphysique ? N’avait-il pas depuis longtemps déjà subi l’action du scepticisme de Hume à l’endroit du principe de causalité ? Sans vouloir préciser ici la date du premier commerce de Kant avec le philosophe anglais, nous ne croyons pas qu’on puisse en méconnaître les traces dans les essais de 1763. La conclusion du livre sur les visionnaires est une adhésion très décidée au doute métaphysique de Hume. Comme le philosophe anglais, Kant déclare que la relation de la cause à l’effet demeure inexplicable par le dogmatisme des anciennes écoles. Mais, réserve importante, il affirme que la solution du problème n’a pas encore été trouvée : ce qui indique assez manifestement que le scepticisme théorique, que l’explication empirique de Hume ne le satisfont pas.