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carrau. — le dualisme de stuart mill .

vons connaître Dieu comme cause, car Dieu c’est l’absolu, c’est-à-dire ce qui est en dehors de toute relation. La notion d’une cause absolue est donc contradictoire dans les termes. Et il ajoute : « Nous cherchons à échapper à cette contradiction apparente en introduisant l’idée de succession dans le temps. L’absolu existe d’abord par lui-même, et ensuite il devient cause ; mais ici nous sommes arrêtés par la conception de l’infini. Comment l’infini peut-il devenir ce qu’il n’était pas dès le commencement ? Si la causation est une manière possible d’être, ce qui existe sans causer n’est pas infini ; ce qui devient cause a franchi ses limites antérieures[1]. »

Laissons pour le moment les difficultés théologiques : attachons-nous à cette doctrine formulée par M. Lewes dans cette proposition : La cause est son effet. S’il en est ainsi, je demande comment il nous est possible de distinguer l’un de l’autre ? Si le rapport qui les unit est réellement un rapport d’équivalence, d’identité, de simultanéité, où avons-nous pris qu’ils diffèrent, et qu’il y a entre eux antécédence et succession ? Illusion de l’esprit, répondra-t-on ; défaut de rigueur et d’analyse. — Mais cette illusion est tout au. moins nécessaire ; elle est la condition de toute science, de toute pensée. Conséquente avec elle-même, la doctrine devrait aller jusqu’à l’identité absolue de toutes choses. Dans la chaîne des causes et des effets, chacun des termes pouvant être mis en équation avec celui qui le précède, l’égalité se transmet tout entière d’un bout à l’autre de la série ; ou plutôt, puisque la succession même est illusoire, tous les termes se confondent en un seul, éternellement présent. Qu’on explique alors et le changement et la durée ! Il est trop clair que les antécédents d’un changement en diffèrent par quelque côté ; autrement, il n’y aurait pas changement. Il est trop clair aussi que le changement seul engendre en nous l’idée de la durée, en sorte que du fait de la durée il suit invinciblement que quelque chose commence à chaque instant d’exister, qui n’existait pas sous cette forme, et cette forme, c’est par où l’effet se distingue de la cause. Cette forme n’est-elle nouvelle que pour l’esprit ? Puisqu’elle s’impose à lui et qu’elle semble donnée dans et par les choses mêmes, on doit croire qu’elle a en elles sa condition, et qu’ainsi le changement subjectif est la mesure et l’effet du changement objectif.

J’accorde pourtant que l’effet est tout entier dans sa cause et même qu’il lui est rigoureusement équivalent, pourvu qu’on l’entende au sens où le prenait Aristote, c’est-à-dire que la cause est en

  1. Cité par Stuart Mill, Examen de la philosophie d’Hamilton, trad. franc., p. 106, 107.