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carrau. — le dualisme de stuart mill .

que la sagesse et la bonté peuvent seules fournir. Cette trinité de conditions rend l’existence de l’univers explicable ; elle en est la raison suffisante, la cause totale et adéquate ; elle est, pourrait-on dire sans paradoxe, l’univers lui-même, en ce sens que, si elle est donnée, l’univers est donné par cela même.

Et, qu’on le remarque bien, il ne s’ensuit nullement que l’univers soit identique ou coéternel à Dieu. — Dieu, comme cause de l’univers, n’est pas, nous l’avons déjà dit, Dieu tout entier ; la causalité n’épuise pas son essence. De plus, s’il est éternellement capable de créer le monde, il peut très bien n’avoir usé de son pouvoir qu’au moment précis qu’avait fixé sa sagesse. Il est cause en soi et pour soi de toute éternité ; il n’est cause du monde que dans le temps.

Ainsi nous croyons pouvoir conclure que la causalité en Dieu n’est nullement contradictoire avec l’attribut de l’absolu. Sans doute, l’absolu est ce qui est en dehors de toute relation, et Dieu en tant que cause du monde est évidemment conçu en relation avec son œuvre ; mais cette relation particulière ne détruit en rien le caractère absolu de sa substance. Il reste, comme l’a montré la critique pénétrante de Stuart Mill, l’absolu en justice, l’absolu en bonté, etc. Il reste même l’absolu comme cause, si l’on entend par là qu’il est de toute éternité capable de créer, et qu’il n’est déterminé à le faire par aucune autre cause étrangère et supérieure à lui.

Une seule difficulté, croyons-nous, subsiste encore : c’est de savoir si la cause de l’univers est intelligente. La solution nous est indiquée par le principe que la cause est corrélative et analogue à son effet. Tout ce que nous savons de l’univers nous porte à le concevoir comme pénétré de pensée. Je n’ai pas à m’occuper de l’argument des causes finales ; il me suffit que Stuart Mill en accepte la légitimité. La finalité dans la création démontre l’intelligence dans le Créateur. De plus, l’univers contient des esprits, et ces esprits sont des phénomènes, puisqu’ils ont commencé dans le temps ; il semble même, autant que nous en pouvons juger par le peu qui nous est révélé jusqu’ici de l’évolution universelle, qu’ils soient la cause finale de cette évolution ; que, par suite, celle-ci n’ait de valeur et de signification que par eux. Si Dieu est la cause du monde dans sa totalité, il faut qu’il soit en quelque manière analogue aux plus importants parmi ses effets, c’est-à-dire aux esprits. Il y a en lui quelque chose qui ressemble à l’intelligence, bien que sans doute d’ordre plus élevé qu’elle.

Stuart Mill objecte que l’expérience nous montre dans la nature le supérieur produit par l’inférieur, la non-pensée engendrant la pensée. Mais l’expérience ne saurait être souveraine en ces matières.