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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

à tâche de défaire l’œuvre des magistrats. Les lettres de rémission étaient prodiguées… Cette facilité avait fini par inquiéter les grands corps de l’Etat. Le parlement, le clergé avaient pressé la Régente d’user plus sobrement du droit de grâce, et ils avaient obtenu la promesse, qui fut renouvelée en 1614, lors de la majorité du roi, qu’aucunes lettres d’abolition ne seraient plus expédiées en faveur de ceux qui seraient prévenus d’assassinats et de crimes qualifiés. Quelque progrès qu’il eût su faire à la cour, Vanini n’était pas de ceux qui pouvaient encore se promettre l’immunité des édits. Son cas n’était pas sans excuse, mais sa qualité d’étranger — Concini ne faisait pas aimer les Italiens — et le crédit de sa partie le rendaient en effet des plus graves. Il sentit le danger d’une poursuite dont l’issue pouvait lui être fatale : avant qu’on eût le temps de l’arrêter, il s’échappa de Paris, et, ne pouvant rester en France ni gagner l’Angleterre, car un édit de Jacques Ier du 2 juin 1610, qui portait peine de mort, en avait interdit le séjour à tous les papistes, il s’en alla chercher un refuge jusqu’à Venise. Là, par une résolution soudaine, qu’expliquent peut-être le bouleversement de son âme et l’horreur du sang versé, il se jeta dans un couvent de Carmes et y revêtit de nouveau le froc qu’il avait porté dans sa jeunesse et qu’il croyait avoir quitté pour toujours.

Mais il ne tarda guère à en sentir le fardeau. On connaît sa mobilité : quand le temps eut un peu calmé sa conscience, le naturel reprit le dessus ; il eut regret à son indépendance. On n’imaginerait jamais ce qu’il fit pour la recouvrer[1]. Il était entré en relations — comment, pourquoi, en quelle circonstance ? — avec Sir Dudley Carleton et sir Isaac Wake, chargés d’affaires de la Grande-Bretagne à Venise. Ce n’étaient pas des vieillards que ces diplomates, ils pouvaient avoir à peu près son âge. Vanini sut les charmer, comme il charmait tout le monde. Ils en vinrent assez vite à ce point de confiance mutuelle qu’il leur avoua qu’il s’ennuyait du couvent, et qu’eux, de leur côté, se firent fort d’assurer sa fortune s’il voulait seulement commencer par se faire protestant. Ils connaissaient l’archevêque de Cantorbéry, leur allié ou leur ami, mais, plus probablement encore, leur parent. Vanini se vit tout de suite en imagination pourvu par leur crédit d’un bon bénéfice ; c’était le

  1. J’ai emprunté tous les faits de cette période de la vie de Vanini à un intéressant ouvrage de M. Raffaele Palumbo, qui a paru à Naples, chez M. Jovene, en 1878 ; Giulio Cesare Vanini e i suoi tempi, cenno biografico-storico, corredato di documenti inediti. M. Palumbo, qui a séjourné quelque temps à Londres, a fait des recherches heureuses dans les manuscrits de Her Majesty’s Record office. Il y a trouvé des lettres de Vanini et d’autres pièces d’un grand intérêt.