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qu’est aujourd’hui Leipzig, un grand marché de livres. Il se mit à fureter dans les boutiques des libraires, avec l’espoir d’y découvrir ce qu’il avait cherché sans succès, on s’en souvient, à la foire de Francfort et aussi à Paris, le Traité de l’âme de Cardan[1]. Il ne le trouva pas et se consola de ce mécompte en s’abandonnant à son goût pour les sciences naturelles. Et, pendant que nous nous le représentons fort affairé et tout entier aux préliminaires et à l’impression de l’Amphithéâtre y il faisait des expériences, il disséquait des poissons[2].On sait que sa prétention était de détrôner Aristote et d’écrire une nouvelle histoire des animaux. — Il n’est pas bien sûr qu’il n’ait pas fait dès lors le premier brouillon des Secrets de la nature, qui parurent l’année suivante à Paris. En tout cas, il était en bonne disposition pour traiter ce sujet. Une petite aventure dont il fut témoin, à ce qu’il dit, et qu’il n’a pu conter sans s’admirer lui-même, nous le montre déjà bien brouillé avec une certaine sorte de merveilleux. Une dispute s’éleva un jour dans la petite hôtellerie où il était descendu. C’était un voyageur, qu’on avait bien traité pourtant, qui ne voulait pas donner les trente sous qu’on lui réclamait pour prix de son diner. De guerre lasse, il finit par payer, mais en maugréant, s’en alla comme un furieux dans sa chambre, où il demeura quelque temps, puis sortit en hâte de la maison sans dire un mot à personne. On le guettait. Aussitôt qu’il fut parti, un garçon monta pour voir si cet homme n’avait rien dérobé ; mais, à peine fut-il dans l’escalier, il se mit à danser, à danser sans pouvoir s’arrêter. Bientôt tous les buveurs qui étaient attablés dans l’hôtellerie en firent autant, et tous ceux qui y entraient, de même. Grand émoi dans le quartier, comme on le pense bien. Miracle ! criait-on, et, s’il vous plait, ce n’étaient pas seulement les catholiques, les huguenots eux-mêmes s’en mêlaient. Heureusement Vanini survint. Il expliqua à ces bonnes gens qu’il n’y avait là rien de surnaturel. Lui, Napolitain, ne pouvait pas s’y tromper. Le voyageur, pour se venger, avait brûlé en vase clos de la poudre de tarentule. En partant, il. en avait laissé échapper la fumée qui s’était répandue dans le logis. Il avait aussi, sans doute, jeté de cette drogue, à l’insu de tout le monde, dans le vin et dans les verres de là cette sauterie forcée[3]. — Je ne garantis point le conte, encore moins l’explication. Notre philosophe a voulu s’amuser, je pense ; mais, s’il croyait ce qu’il a écrit, quelle étrange manière d’entendre les secrets de la nature !

(À suivre.)
A. Baudouin.
  1. Amphith., p. 172.
  2. De arcan., p. 219.
  3. De arcan., p. 446, 447.