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de connaître. Les allures de son exposition sont bien celles du laïque et de l’historien de profession, et non de l’homme d’Église.

I

M. Astié attache certainement une grande importance au résumé qu’il a donné de l’Histoire des dogmes de Baur. Si nous comprenons bien sa pensée, il estime que le lecteur intelligent y trouvera la preuve que la cause de l’Évangile doit être soigneusement distinguée de celle des conceptions diverses qu’il n’a cessé de provoquer dans le cours des âges de la part des penseurs. Voilà en effet un point de vue qui est nouveau pour beaucoup de personnes et qui n’a guère obtenu jusqu’ici droit de cité parmi nous. Expliquons toutefois celte pensée. D’après l’opinion courante, la foi au christianisme et la foi au dogme seraient une seule et même chose. Qui accepte l’un accepte forcément l’autre, ou plutôt le christianisme ne doit pas être distingué de la forme que l’Église lui a assignée : le catholique admet le dogme chrétien tel que l’ont formulé les conciles œcuméniques ; le protestant du rite luthérien admet le dogme chrétien tel qu’il se trouve consigné dans la Confession d’Augsbourg et les autres livres symboliques rédigés par son Église, etc. Il en résulte que, lorsqu’un dogme parait entaché d’erreur, c’est comme une voûte que l’on prive d’une des pierres nécessaires à sa solidité : celle-ci entraine le reste dans sa ruine. Je cesse de croire à l’égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit : voilà qui semblera péché véniel. Eh bien, non. Car la Trinité est ruinée du coup. La moindre atteinte portée à un des éléments de la construction retentit jusqu’à la base, qui bientôt se fissure et s’ébranle. — Plaçons-nous toutefois à un autre point de vue. Un fait considérable s’est passé dans l’histoire : ce fait, c’est l’apparition d’un homme d’un prestige incomparable, dont l’exemple, dont l’enseignement ont communiqué à son entourage et communiquent à ceux mêmes qui ne le connaissent que par l’intermédiaire de ses disciples, une force morale extraordinaire. Cet homme, appelons-le Jésus de Nazareth ; donnons le nom d’Évangile à la prédication de cette « rédemption » qu’il apporte à tous par l’influence merveilleuse de sa personnalité sublime. Maintenant, franchissons un siècle, et voyons ce qui se sera passé dans le cercle grandissant des disciples de ce Jésus. Si son entourage immédiat s’est borné à voir en lui un homme extraordinaire, « confirmé par Dieu, » le Messie chargé d’inaugurer le règne de Dieu sur la terre, les générations suivantes ne se contenteront pas de ces déterminations, d’origine judaïque. Beaucoup de Grecs sont entrés dans l’Église ; c’est le temps d’une fermentation intellectuelle des plus actives. On a voulu définir les rapports exacts du Messie avec le Tout-Puissant, du « Fils de Dieu » avec son Père. La « divinité de Jésus-Christ » s’affirme de plus en plus, jusqu’à ce que le concile de Nicée égale le « rabbi » galiléen à l’Être suprême. Toutes les questions qui sollicitent la pensée du chrétien reçoivent, à leur tour, une solu-