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logiques doivent être complétées par les vues d’ensemble métaphysiques. Après tout, la nature est une, la vérité est une, la pensée est une. « L’univers n’est pas un mauvais drame fait d’épisodes. » S’il faut se défier d’une unité purement logique, il faut se défier aussi d’une multiplicité purement logique ; en général, il faut se défier de la logique formelle et, tout en la respectant partout, il ne faut pas prendre une simple condition de la pensée pour l’essence même des choses. Après les Cuvier, qui voient trois ou quatre règnes dans la nature, quatre embranchements dans le règne animal, quatre ou cinq classes dans l’embranchement des vertébrés, etc., et qui admettent ainsi implicitement une foule de créations, il est bon qu’il y ait des Geoffroy Saint-Hilaire et des Darwin, qui retrouvent l’unité de plan et l’unité de filiation dans la nature. De même, en philosophie, il ne faut pas attribuer une valeur absolue à l’embranchement des naturalistes, à celui des idéalistes, etc. Il suffit, dans la nature, d’une « divergence d’abord faible du type primitif », comme dit Darwin, pour produire à la longue des espèces ou tout au moins des variétés tranchées ; il suffit aussi, dans le domaine intellectuel, d’une divergence de principes d’abord peu sensible pour produire des systèmes très opposés ; remontez à l’origine, vous verrez qu’il y a une parenté et une filiation entre les doctrines comme entre les espèces animales ; par cela même, vous reconnaîtrez que les doctrines peuvent et doivent être progressivement réconciliées dans une synthèse qui assigne à chacune sa place véritable.

Nous croyons donc qu’il faut, dans la méthode philosophique, se proposer comme idéal la synthèse la plus large possible en extension et en compréhension, sorte d univers intérieur créé par notre pensée[1].

IV. Nous ne ferons que résumer les procédés de cette synthèse; nous les avons exposés ailleurs et, autant qu’il était en nous, mis en pratique. Au point où cesse l’accord entre les séries de faits ou d’idées, il faut voir si, en poussant plus loin et en complétant les divers systèmes, chacun dans son sens légitime, c’est-à-dire en remontant à des principes plus primitifs, ou en redescendant à des conséquences plus lointaines et mieux déterminées, on ne verrait pas ces systèmes prendre une direction convergente et se rapprocher de plus en plus. Ainsi nous avons essayé de faire voir que la morale déterministe et la morale de la liberté tendent à se rapprocher si l’on

  1. « C’est là, dira-t-on, un idéal irréalisable. — Mais toute méthode n’est autre chose qu’un idéal dont on se rapproche de plus en plus par des moyens déterminés… La conciliation des idées est la légitime direction du mouvement philosophique comme du mouvement historique lui-même:elle n’est pas et elle ne sera jamais une œuvre entièrement achevée. Du reste, la métaphysique est ici analogue aux autres connaissances. » (Histoire de la philosophie, Introduction, p. xvi.)