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analyses. — turbiglio. Le antitesi , etc.

-être la théorie repose-t-elle en ce point, et en ce point seulement, sur une observation juste. Quelque étrange qu’il paraisse de prétendre après deux siècles révéler un auteur à lui-même, quand cet auteur s’appelle Malebranche ou Spinoza, l’idée d’où part ce dessein a quelque chose de spécieux que nous reconnaîtrons volontiers. Il est assurément possible que plusieurs courants se soient rencontrés et combattus dans l’esprit d’un philosophe, et il n’est pas sans intérêt pour l’historien de chercher à les discerner sous la surface unie du système. Mais à quelle condition ce travail délicat peut-il être heureusement accompli ? À condition que des textes précis se rencontrent et puissent être invoqués par l’historien pour établir ces oscillations de la pensée, plus ou moins remarquées de celui qui les a subies ; à condition surtout que, grâce aux mêmes textes, ces oscillations puissent être rapportées à des dates, et que les recherches, loin de rester à l’état de conceptions en l’air, n’ayant aucun rapport avec la réalité, tendent à former un corps d’événements historiques ayant place en tel lieu, à tel moment ; hors de là, il n’y a qu’arbitraire et fantaisie. Que dire quand l’historien se met en tête de montrer à un auteur qu’il n’a pas pensé ce qu’en raison des influences de son milieu il aurait dû penser, que son système est à refaire, qu’il y a une lacune à combler par-ci, un retranchement à opérer par-là, certaines idées à séparer qu’il avait jointes, certaines autres à unir qu’il avait séparées ? Telle est pourtant la prétention nettement avouée de M. Turbiglio (p. xlvi). L’édifice, suivant lui, doit être tout entier jeté à bas et reconstruit avec les mêmes pierres d’après un plan absolument neuf ; tant pis pour les anciens habitués de la maison, s’ils ne s’y reconnaissent plus !

C’est bien mal à propos que l’exemple de Zeller est invoqué ici. Quand M. Turbiglio aura, comme l’illustre historien allemand, passé au crible, au sujet de chaque auteur, un monceau de témoignages précis, rapportés aux sources, il lui sera permis de chercher la pensée organique, l’idée maîtresse des systèmes ; mais il lui faudra alors, comme son modèle, garder son esprit libre de toute idée préconçue, reconnaître sans difficulté les lacunes et les incohérences des conceptions qu’il étudie, bref se mettre à la disposition et à l’école du fait, au lieu de vouloir le plier impérieusement à ses hypothèses.

Le fait est noire maître à tous, qui que nous soyons, qui aspirons à servir la science. Il donne de la force aux humbles qui prennent la peine de le suivre à la trace ; et de vigoureux esprits risquent de voir leurs efforts stériles pour l’avoir dédaigné.

A. Espinas.