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lèbre parmi les grands de France[1], et son audace, qui n’avait pas trop besoin déjà d’être excitée, mais qui semblait toujours s’ignorer, et qui excellait à se donner des airs d’innocence, ne vit plus rien au monde qu’elle ne pût affronter.

Il était véritablement enivré de la faveur dont il se sentait jouir ; aussi, confiant sans mesure dans son habileté à tout dire et à tout faire passer, il osa d’abord faire éclater, non pas encore comme philosophe et comme médecin, mais en tant que prêtre, — n’oublions pas son caractère sacré, — toute l’indépendance de son esprit. Dans la situation qu’il avait conquise, il n’avait pas eu de peine à obtenir la permission d’aborder la chaire. Ce fut au quartier de la Place-Royale, dans les églises fréquentées par les gens de cour, qu’il se produisit comme prédicateur. Il semble qu’il le fit avec quelque succès, c’est-à-dire de manière à fixer sur lui l’attention ; mais il ne contenta pas également tous ses auditeurs. S’il y en eut qui goûtèrent franchement la grâce, la facilité, la piquante nouveauté de son éloquence, il s’en trouva aussi plusieurs, « hommes doctes et versés aux controverses », qui prirent alarme de sa doctrine[2]. Etait-elle réellement répréhensible au point de vue catholique ? et, si elle l’était, faut-il admettre que Vanini n’eut pas conscience de s’écarter de l’orthodoxie ? Je crois qu’il eût été bien fâché que ses amis les grands seigneurs eussent eu de lui cette opinion. On sent qu’il était bien aise de passer à leurs yeux pour un fanfaron d’hérésie. Dans les Secrets de la nature, au cours d’une discussion philosophique, son interlocuteur lui demande pourquoi l’homme a été créé ? Vanini rappelle alors avec complaisance que, dans l’un de ses sermons, il a résolu la question en ce sens que l’homme est un anneau de la chaîne des êtres, un intermédiaire destiné à relier ceux d’en haut à ceux d’en bas. Mais je croyais, dit l’autre, que c’était pour commander aux autres animaux ? (on sait que c’est la doctrine de l’Église). — « Quoi donc ! répond le philosophe, est-ce qu’il commande au basilic ? Il prend les bêtes, c’est vrai ; mais les bêtes aussi le prennent ; le crocodile, la pieuvre en font leur victime. — Permettez ! cette rébellion des animaux n’a eu lieu qu’après le péché : dans le paradis, tous obéissaient à l’homme ; ô félicité de l’âge d’or ! — Ce n’est pas la peine de gémir. Depuis le péché, les brebis n’ont pas cessé d’obéir ; d’ailleurs, avant le péché, le serpent prêch… — Je vous entends. — Tout ce que je voulais dire, continue Vanini avec une ironie qu’il ne cherche pas à contenir, c’est qu’heureuse a été la

  1. De arcan., p. 3, 4.
  2. Rosset, Histoires tragiques, édition citée.