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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

On vient de voir poindre encore indécise dans ce passage l’opinion que les théologiens flétrissent à leur manière du nom de machiavélisme. Machiavel n’est pourtant pas le premier qui ait dit que les religions sont avant tout un moyen de gouvernement. Quinze cents ans avant lui Cicéron développait cette idée dans ses Épitres, et plus d’un sans doute l’avait exprimée avant Cicéron. Jules-César la reprend à son compte, et il l’expose, à la barbe des parlementaires et des bonnets carrés de la Faculté, avec une liberté, une audace qui fait frémir. Les quelques lignes qu’il lui consacre sont comme un extrait concentré des Secrets de la nature. Il nous suffira de les rapporter, pour n’avoir plus à en citer d’autres. Après les avoir lues, on aura une juste idée de ce qu’on a appelé à tort la philosophie de Vanini.

« Alexandre. Les anciens philosophes ont estimé qu’on peut rendre à Dieu un culte pieux et sincère dans toutes les religions indifféremment.

Jules-César. Dites : dans la seule loi naturelle que la Nature, qui est Dieu, puisqu’elle est le principe de mouvement, a gravé elle-même dans l’âme de toutes les nations. Quant aux autres religions, c’étaient aux yeux de ces philosophes des œuvres d’illusion et de mensonge, œuvres où les démons ne sont pour rien, car, disaient-ils, les démons sont de pures fables ; — œuvres, à vrai dire, imaginées par les princes pour rendre leurs sujets plus dociles, par les prêtres pour attraper adroitement de l’or et des honneurs ; — œuvres enfin confirmées non par des miracles, mais par des récits de miracles et par une Écriture dont l’original ne se trouve nulle part ; par une Écriture, dis-je, qui promettra bien de récompenser les bons et de punir les méchants : mais quand cela ? — Dans la vie future seulement, pour qu’on ne puisse découvrir la fraude. En effet, comme ils disent, qui est-ce qui en revient ? Voilà comme on maintient le petit peuple des campagnes dans la servitude, avec la crainte d’une prétendue divinité suprême qui, censément, voit tout, et qui a pour tout des peines et des récompenses éternelles. C’est ce qui faisait dire au poète Lucrèce :

La crainte dans le monde a fait les premiers dieux[1]. »

On pense bien que ceux-là mêmes qui achetaient les Secrets de la nature, à cause précisément de ces attaques si peu déguisées à l’église catholique, ne laissaient pas de s’étonner, voire de s’égayer de l’approbation des censeurs. L’irréligion avait-elle fait des recrues jusque dans la faculté de théologie. Vanini aurait-il réussi à convertir le Père Gardien des Minimes et son digne compagnon ? Quant à la

  1. De arcan., p. 366.