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été rappeler trop ouvertement que l’athée de la place du Salin avait été le familier d’un haut dignitaire de l’Église.

Rien n’eût été plus odieux que ce souvenir à M. de Saint-Luc, devenu évêque de Marseille. Cela est si vrai que le jeune prélat détruisit, ou fit détruire autant qu’il le put, un livre de lecture courante où ses relations avec ce malheureux Italien sont racontées tout au long. Je veux parler de l’édition des Histoires tragiques de Rosset, imprimées à Paris en août 1619. Celles qui suivirent, et elles se succédèrent presque d’année en année, ne font pas mention de l’histoire de Vanini, si tragique pourtant[1].

Du reste, c’est comme polémiste et non comme historien que l’auteur des Questions sur la Genèse a parlé de ce couvent. Pour le succès des attaques fanatiques, ce n’est pas assez dire passionnées, qu’il dirigeait contre les libertins, il croyait bon d’établir que ces beaux esprits, comme les appelle ironiquement Garasse, étaient nécessairement perdus de mœurs.

Tout en diffamant Vanini d’après ce principe, il prévoit une objection : les vices que vous lui imputez ne l’ont pas empêché d’être admis dans une congrégation respectable. Oui, réplique-t-il aussitôt ; mais cette congrégation n’a pu le supporter : elle l’a vomi, ce César des athées, ce chercheur de repues franches (lœcator), cet archi-débauché, καταπυγωνέστερος[2]. Le célèbre Minime eût été bien heureux s’il eût pu pressentir l’effet de ce mot grec emprunté d’Aristophane. Les ennemis de Vanini lui ont prêté un sens qu’il a quelquefois, mais auquel évidemment le P. Mersenne n’avait pas songé. Dans une maison de moines, καταπυγωνέστερος ; ne peut être entendu de deux façons ; ce comparatif est là forcément péjoratif. Pour que le doute sur ce point ne fût même pas possible, l’honnête ministre David Durand, citant Mersenne, change lœcator[3] en mœchator, en sorte qu’il lui fait dire : « qui ne mœchator existimaretur, καταπυγωνέστερος esse maluit. » — Peut-être, après tout, ne voulait-il que rendre plus latine cette élégance de rhétorique[4].

Il est certain que Vanini ne resta pas longtemps dans ce monastère.

S’il arriva à Redon dans les premiers jours de janvier 1617, il dut en repartir quelques mois après. On conçoit que le P. Mersenne, en bon confrère du P. Edmond Corradin, se soit plu à dire qu’il en avait été chassé ; mais il y a des raisons de croire qu’il en sortit très

  1. Voir ci-dessus sur cette édition la noie 1, p. 260.
  2. Le P. Mersenne, Quæstione in Genesim, à l’endroit cité.
  3. C’est le mot licheur de la langue populaire.
  4. David Durand, La vie et les sentiments de Lucilio Vanini, p. 49.