Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
28
revue philosophique

Aux reproches de scepticisme et d’illogisme on a joint celai d’éclectisme, ce qui, dans la bouche de certaines personnes, est une grosse accusation. Qu’il nous soit permis du moins d’opposer ici un critique à un autre et de faire observer que le reproche n’est pas d’une justesse évidente, puisque les avis sont partagés[1]. Qu’il nous soit aussi permis de dire qu’il ne suffit pas, pour assimiler tout effort de synthèse à l’éclectisme, de noter une ressemblance entre certaines maximes générales et extérieures qui appartiennent aussi bien à Platon, à Leibniz, à Hegel qu’à M. Cousin. Ce sont les caractères propres de l’ « éclectisme » qu’il faut comparer à la « conciliation ». Or, si nous ne nous trompons, tout est différent entre les deux méthodes : principe, caractère général, critérium, but, procédés, résultats théoriques et pratiques.

Principe. — L’éclectisme est fondé sur ce que « tout a été dit » par les philosophes. « Si la philosophie n’est pas déjà, vous la cherchez en vain, vous ne la trouverez pas. » L’autre méthode, au contraire, prend pour principe que « le meilleur reste encore à dire,

  1. D’une part, M. Renouvier dit que « cette tentative ressemble à une reprise de l’éclectisme sur des bases plus larges » (Critique philosophique, 25 sept. 1873). Il condamne ce qu’il appelle « l’éclectisme transcendant de ce philosophe » (Critique philosophique, 8 mai 1879), « exempt toutefois des hautes banalités et assertions prudhommesques de l’école de Cousin, à laquelle d’ailleurs il n’appartient pas, encore qu’éclectique à sa manière » (ibid., 20 mars 1879). D’autre part, M. Janet dit dans la préface de sa Morale : « Nous approuvons fort et nous avons essayé de pratiquer pour notre part la méthode qu’on a appelée méthode de conciliation et qui n’est autre que la méthode éclectique bien entendue. » D’autre part encore, M. Secrétan répond à M. Renouvier : « Oui, sans doute, Victor Cousin a bien répété cette formule à son retour d’Allemagne, même il l’a fait applaudir, mais la synthèse des contraires n’est pas moins une nouveauté dans la philosophie proprement française, car, si Cousin l’a préconisée un moment, il n’en a jamais tiré le moindre parti. Que ce soit la méthode de Platon, celle des mystiques, du cardinal de Cusa, de Giordano Bruno, de Kant, de Fichte, de Hegel, je le veux bien ; ce n’est pas celle de Victor Cousin. » (La liberté et le déterminisme, par M. Fouillée, 1er  article : Revue chrétienne du 5 oct. 73.) — M. Caro, dans un très bienveillant chapitre de ses Problèmes de morale sociale, dit : « La méthode, sur laquelle les lecteurs superficiels ont pu se tromper, était neuve et savante. Par une manœuvre hardie, il s’est placé au cœur même du déterminisme pour s’élever peu à peu à une doctrine supérieure… Sa méthode est celle des moyens termes, qu’il s’agit d’intercaler entre ces deux tendances de l’esprit, qui, selon lui, ne divergent pas à l’infini. » (P. 263.) Un jeune philosophe qui, pour n’avoir pas l’a même autorité que les précédents, n’en a pas moins exposé avec une rare fidélité la méthode de conciliation en philosophie, méthode « originale » selon lui, a dit avec beaucoup de sens : « C’est sans doute se montrer fidèle à l’esprit de cette méthode même que d’en chercher les commencements dans le passé, au lieu d’y voir la création subite et comme ex nihilo d’un seul esprit. Dans son histoire doit se vérifier la notion du progrès qui eu est l’âme. On peut donc admettre sans peine que la méthode de conciliation est ancienne et nouvelle… » (Emile Boirac, Philosophes français contemporains, M. A. Fouillée, dans la Revue politique du 27 nov. 1873.)